« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Staël

  Mme de Staël

   Tempérament passionné (1), énergique, volontaire et quelque peu pénible, sans doute... Mais certainement des idées nouvelles en son temps. En tout cas, une véritable femme de lettres ! Et même si elle constate en 1800 : « Ce qu'on appelait un homme de lettres n'existe plus en France, il n'y a plus de profession à part. » Elle entend par là que la République des Lettres, étendue à toute la nation lors la Révolution (tout le monde prend la plume) soumet les écrivains à la politique : écrire, c'est vouloir refaire le monde et risquer sa tête. Napoléon (son grand ennemi pourtant) affirmera de même : « La tragédie aujourd'hui, c'est la politique. »   

   Mme de Staël est l'une des premières femmes à oser signer de son nom, se proclamant ainsi auteur, assumant ses choix politiques et intellectuels. On peut l'aimer ou non, mais nul ne saurait lui dénier l'intelligence.

   Schiller écrivait d'elle : « Elle veut tout expliquer, pénétrer, mesurer ; elle n'admet rien d'obscur, rien d'inaccessible, et, dans les régions qu'elle ne peut éclairer de son flambeau, il n'existe rien pour elle. »

   Elle annonce le romantisme et le sentiment de l'infini : « Ces limites qui resserrent douloureusement notre cœur, une émotion vague, un sentiment élevé les fait oublier pendant quelques instants. » Et on lui doit sans doute la première définition du romantisme : « Le nom de romantique a été introduit nouvellement en Allemagne pour désigner la poésie dont les chants des troubadours ont été l'origine, celle qui est née de la chevalerie et du christianisme. » (De l'Allemagne).   

   À propos de son ouvrage De l'Allemagne, Goethe dira : « De l'Allemagne fut comme un puissant instrument qui fit la première brèche dans la muraille d'antiques préjugés élevée entre nous et la France. »

   Et Sainte-Beuve : « Je ne crois pas qu'il y ait encore à chercher ailleurs la vive image de cette éclosion du génie allemand, le tableau de cet âge brillant et poétique qu'on peut appeler le siècle de Goethe. »

   On peut également avancer qu'elle ouvre la voie à la critique littéraire avec son autre ouvrage De la Littérature, où elle tient compte de l'Histoire dans l'appréciation des œuvres (cf. la Querelle des Anciens et des Modernes à la fin du 17e siècle qui remet en question la doctrine du classicisme et relativise les critères du jugement esthétique).

   Elle apprécie Rousseau dont elle dit : "J.-J. Rousseau n'a rien découvert, mais il a tout enflammé".

_ _ _

Notes

(1) Elle parle toute jeune encore du « ridicule que les âmes froides donnent aux âmes ardentes. Ils appellent exagéré tout ce qu'ils ne sentent pas et disent qu'on est monté sur des échasses alors qu'on est plus grand qu'eux. » Mme de Staël ne négligera jamais un certain pathos...

Remarques

   Pouvait-on évoquer le 18e siècle en omettant Mme de Staël, née en 1766, témoin de l'Ancien Régime, de ses dernières convulsions, et qui ouvre la porte au 19e siècle, tout comme Chateaubriand ? Et tous deux, écrivains cosmopolites, ont ouvert dans une certaine mesure la porte à la littérature comparée. Mme de Staël voyage, s'enthousiasme, découvre, analyse les mœurs et la littérature allemandes et les compare avec les nôtres.

   Par ailleurs, on peut lui accorder une certaine vision prémonitoire à propos des femmes : « Il arrivera, je le crois, une époque quelconque, où des législateurs philosophes donneront une attention sérieuse à l’éducation que les femmes doivent recevoir, aux lois civiles qui les protègent, aux devoirs qu’il faut leur imposer, au bonheur qui peut leur être garanti ; mais dans l’état actuel, elles ne sont, pour la plupart, ni dans l’ordre de la nature, ni dans l’ordre de la société. Ce qui réussit aux unes perd les autres ; les qualités leur nuisent quelquefois, quelquefois leurs défauts les servent ; tantôt elles sont tout, tantôt elles ne sont rien. Leur destinée ressemble, à quelques égards, à celle des affranchis chez les empereurs : si elles veulent acquérir de l’ascendant, on leur fait un crime d’un pouvoir que les lois ne leur ont pas donné ; si elles restent esclaves, on opprime leur destinée... » (De la Littérature).

   Pour ces lignes, nous lui pardonnerons le reste...   

   Additif :

   C'est Mme de Staël qui, la première, fait la distinction entre bêtise et sottise : "La bêtise et la sottise diffèrent essentiellement en ceci, que les bêtes se soumettent volontiers à la nature, et que les sots se flattent toujours de dominer la société." Ce que semble confirmer Baudelaire qui écrit en 1846 : "La grande poésie est essentiellement bête, elle croit, et c'est ce qui fait sa gloire et sa force." Et Flaubert en 1852 : "Les chefs- d'oeuvre sont bêtes. - Ils ont la mine tranquille comme les productions mêmes de la nature, comme les grands animaux et les montagnes."

Toujours selon Baudelaire, l'art est assimilable à la femme : "Il y a des gens qui rougissent  d'avoir aimé une femme, le jours qu'ils s'aperçoivent qu'elle est bête." Baudelaire proteste : "La bêtise est souvent l'ornement de la beauté ; c'est elle qui donne aux yeux  cette limpidité morne des étangs noirâtres, et ce calme huileux des mers tropicales."    

* * *      

  • Amitié avec Mme Récamier

    Chateaubriand témoigne de l'amitié entre Mme de Staël et Mme Récamier. Sainte-Beuve évoque la lecture des Mémoires de Chateaubriand à l'Abbaye-au-Bois chez Mme Récamier.
  • Aspect physique

    Mme de Staël n'est pas belle mais sa physionomie traduit son intelligence.
  • Bicentenaire mort

    Commémoration du bicentenaire de la mort de Mme de Staël en juin 2017. Divers articles.
  • Corinne

    Corinne : tableau de Gérard et roman de Mme de Staël. Féminisme et cosmopolitisme. Découverte de l'Italie.
  • De l'Allemagne

    Comme De la Littérature, De l'Allemagne devient la bible des romantiques français. Cependant, on peut y apporter un regard critique.
  • De la Littérature

    Grâce à De la Littérature, Mme de Staël élargit la critique littéraire ; le Beau n'est plus absolu.
  • De la poésie (analyse)

    De la poésie (De l'Allemagne) : aide pour l'explication de texte.
  • Delphine

    Delphine, roman épistolaire et autobiographique de Mme de Staël. La société, hostile aux femmes éminentes, les condamne à la solitude.
  • Esprit de conversation

    Mme de Staël compare l'esprit de conversation entre la France et l'Allemagne.
  • Essai sur les fictions

    Dans son Essai sur les fictions, Mme de Staël rejette mythologie, merveilleux et allégories. Seul le vrai semble l'attirer.
  • Europe et Révolution

    Analyse de Mme de Staël sur l'état d'esprit régnant en Europe lors des Etats Généraux.
  • Femmes allemandes

    Mme de Staël dresse un portrait à sa manière des femmes allemandes.
  • Mme de Staël, héroïne d'Adolphe ?

    Mme de Staël est vraisemblablement Ellénore, l'héroïne d'Adolphe, de Benjamin Constant.
  • Le moi à l’œuvre

    Mme de Staël laisse volontiers transparaître sa personnalité dans ses ouvrages.
  • Mme de Staël et Napoléon

    En octobre 1803, Mme de Staël reçoit l'ordre de s'éloigner à quarante lieues de Paris. Exil à Coppet.
  • Mme de Staël et Sainte-Beuve

    Dans Portraits de femmes, Sainte-Beuve utilise la psychologie pour expliquer l'œuvre.
  • Mme de Staël, Schiller et Goethe

    Mme de Staël admire Schiller et Goethe. Analyse de Werther, des Affinités électives, de Faust et de Wilhelm Meister.
  • Romantisme

    Le romantisme chez Mme de Staël annonce le mal du siècle de ses successeurs : destinée incomplète, mélancolie, enthousiasme.
  • Salon de Mme Necker

    Le salon de Mme Necker, tremplin pour sa fille, la future Mme de Staël.
  • Mme de Staël aurait pu épouser Fersen

    Fersen intéressé par la dot de Germaine Necker, future Mme de Staël.