« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Sens des mots

Introduction

   Le langage précieux est une chose. Mais la langue tout court, à savoir le style du 17e siècle en est une autre.

   On note aujourd'hui des glissements de sens : les mots actuels ont tendance à perdre leur sens fort ou leur sens originel. Si bien que certains textes nous paraissent quelquefois abscons.

   La grammaire aussi pose problème ainsi que la construction des phrases, généralement plus lourde que de nos jours.

   Il en est de même pour la ponctuation : on préfère le point virgule au point, si bien que les phrases s'allongent à l'infini. Par ailleurs, on met systématiquement une virgule devant les conjonctions de coordination, comme et.

   Remarque anecdotique : L'expression ce je ne sais quoi est à la mode. Pascal l'utilise d'ailleurs, méditant sur la disproportion entre la cause et les effets de l'amour. La cause ? Eh bien, ce je ne sais quoi, si peu de chose qu'on ne peut le reconnaître, remue toute la terre, les princes, les armées, le monde entier. Le nez de Cléopâtre, s'il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changé.

Ne confondons pas !

   Au 17e siècle, les mots ont très souvent un sens différent. On trouve ceux-ci chez Corneille en particulier, et, plus généralement, dans la littérature du siècle. Il est souhaitable d’une connaître les nuances de sens afin de ne pas mal interpréter un texte.  

* Le terme sentiment

   Le terme sentiment est pourvu de nombreuses significations au 17e siècle en raison de la coexistence de valeurs sensorielles, représentatives et affectives, d’où les confusions. Sentiment a encore souvent le sens de sensation.  On parle de sentiments intérieurs come la santé ou la vigueur.

   La sensibilité a (en sus du sens moderne) celui d’ « attachement » : le duc de Nemours éprouve de la sensibilité pour la princesse de Clèves. Même chose pour sensible qui signifie aussi « prompt à l’attendrissement » : « Que ton cœur est sensible et qu’on peut le percer » (Corneille, Pompée).

   Passion n’a le plus souvent que  le sens vague de « sentiment » (voir infra). Ainsi Molière parle, dans Le Bourgeois gentilhomme, des « différentes passions que peut exprimer la musique. »

   Bref, le mot sentiment est très mal défini. Toutefois, on peut noter :

  • Une extension de son sens physiologique au sens psychologique : « En baignant mon visage / Mes pleurs du sentiment lui rendirent l’usage. » (Racine) => D’où l’expression courante perdre le sentiment.
  • Pascal confère au mot un sens philosophique : pour lui, c’est le contraire de la raison.
  • L’intuition (mot introduit pas Descartes) permet de porter un jugement sur un certain nombre de valeurs échappant au raisonnement : sentiment du beau, sentiment religieux. Elle autorise des appréciations plus souples qu’avis ou opinion : « J’ai le sentiment que vous êtes dans l’erreur. » (Confusion entre sentiment et opinion). D’où l’existence d’ouvrages titrés Sentiments, par exemple Les Sentiments de l’Académie sur le Cid.
  • Chez les mondains, le sentiment, qui obéit à la mode comme les vêtements et les usages, évolue au cours du siècle. Au début du 17e siècle, règne « l’amour-tourment » (Malherbe), puis « l’amour-service » (L’Astrée, Le Grand Cyrus), enfin « l’amour-passion » (Racine, Mme de La Fayette) dont Boileau parle en ces termes dans son Art poétique : « Bientôt l’amour fertile en tendres sentiments / S’empara du théâtre ainsi que du roman. »

   Mais il faut avouer que le sentiment, exalté par la littérature galante, est absent des mœurs de la haute société...

* Les termes ravir et ravissement

Le ravissement de Proserpine par Pluton   Dérivé du latin, le sens ancien de ravir (« emmener de force, violer ») persiste au 17e siècle. On peut citer Le Ravissement de Proserpine par Pluton (ci-contre).

   Assez tôt, le terme prend une valeur mystique (cf. le ravissement de Sainte-Thérèse d’Avila) puis, on en vient à des sentiments plus profanes (plaisir et joie). Dans L’Astrée trois nymphes sont ravies en contemplant de belles peintures. Théophile de Viau parle d’une beauté qui lui ravit l’esprit.

   Le langage mondain qui affectionne l’hyperbole, utilise volontiers ravir et ravissement. Mais ravir, ravissement et ravissant, trop prosaïques, seront bannis du vocabulaire noble de la tragédie et de l’épopée. On note une seul occurrence de ravissement dans Le Menteur de Corneille.

* Le terme pruderie

   Le mot pruderie n’apparaît qu’en 1660. L’adjectif prude existait au sens de « digne » mais c’est Mlle de Scudéry qui lui donne le sens de « personne de grande rigueur morale ».

   Mais on confond pudeur (voir infra) et pruderie. La pruderie devient un terme péjoratif avec Molière (en 1670) et affecte une vertu qu’on ne possède pas toujours. La Bruyère, dans les Caractères (V), en décèle l’hypocrisie : « Une femme prude paye de maintien et de paroles ; une femme sage paye de conduite ».

   Pour les mondains et les théoriciens du langage, la pruderie est un article de foi. Certains condamnent dans l’Évangile le terme engendrer et proposent de remplacer vierge par fille. Molière se moque des femmes savantes qui « exigent le retranchement de ces syllabes sales / Qui dans les plus beaux mots provoquent le scandale ». On veut donc interdire convaincu, consistoire, culotte, etc.

   L’ordre moral triomphe à partir de 1684 avec le climat pudibond qui règne à la cour. La Sorbonne réclame l’interdiction de la comédie, le théâtre italien est fermé en 1697 (et rouvert sous le Régence). La censure devient permanente en 1706. Mais le public intellectuel et mondain la contourne : Mme de Sévigné reçoit des livres interdits.

D’où l’explosion du libertinage et la décadence des mœurs durant la Régence.

* Le terme pudeur

   Pruderie, prude, pudeur... Le 17e siècle a du mal à définir la pudeur (et le confond souvent avec pruderie). Furetière, dans son Dictionnaire, la définit par une « honte naturelle qu’on a de faire quelque chose de déshonnête, ou de mauvais, et qui se témoigne par une rougeur qui monte au visage. »

    La première moitié du siècle construit la pudeur sociale (voir article politesse et civilité). Toutefois, le roi échappe aux règles de la pudeur : il change de chemise en public et reçoit sur sa chaise percée. Existe également la pudeur artistique, qui s’offense d’un sein ou d’un sexe découverts davantage que d’une situation indécente.

    À la fin du siècle règne une pudibonderie extrême. On pourchasse les impudiques qui se baignent nus dans la Seine. 

* Les termes politesse et civilité

Un couple fort civil   L’importance de la politesse et de la civilité est considérable à une époque où les rapports humains jouent un rôle de premier plan. Ce groupe (relativement réduit) est désigné par les vocables honnêtes gens, personnes de mérite, grand monde, personnes galantes, etc.

   Politesse et civilité restent encore des termes vagues à l’histoire complexe.

   Civilité, plus ancien, supplante courtoisie, expression d’un idéal chevaleresque périmé. La conception nouvelle de « civilité » est issue des Adages (ceux d’Érasme par exemple) qui enseignent les bonnes manières, ainsi que de l’ouvrage Le Courtisan (le « Cortigiano ») de Balassare Castiglione dont Ferté tire parti dans L’Honnête homme ou L’Art de plaire à la cour (1630, nombreuses rééditions).

   Le mot politesse apparaît un peu plus tard, entre 1665 et 1678. Associée à la civilité, la politesse prend au 17e siècle les sens suivants :

  • Respect de la bienséance, fondée sur le tact, le savoir-vivre et la raison (selon La Bruyère).
  • La bienséance mondaine entraîne le respect des bienséances littéraires ou oratoires, sur lesquelles insiste Boileau (Art poétique) : il est des usages à ne pas transgresser comme le respect qu’on doit aux rois, aux grands et aux situations acquises, un ton digne, ainsi que la pudeur en ce qui concerne la vie physique et sexuelle. Les héros des tragédies ne dorment pas, ne mangent pas, ne boivent pas.
  • La politesse désigne l’ensemble des caractères moraux et intellectuels qui constituent un « état policé » (Boileau), ce qu’on appellera au 18e siècle une « civilisation ».

   Société raffinée mais enfermée dans des règles imposées par l’étiquette et soucieuse de marquer la distance qui sépare chacun de ses inférieurs. La politesse s’étend à tous les domaines : conversation, rapports affectifs, attitudes, gestes, mode, etc.

   Mais la morale n’est qu’un paravent derrière lequel se dissimulent des pulsions que la société juge nécessaire de contrôler.

   Les cercles mondains féminins jouent un grand rôle dans le développement de cette politesse. En 1647, Vaugelas définit le galant homme : « C’est un composé où il entre du je ne sais quoi, de la bonne grâce, de l’air de la Cour, du jugement, de la civilité, de la courtoisie et de la gaieté, le tout sans contrainte ni affectation. » Le galant homme, version mondaine de l’honnête homme, possède de la bonne grâce, alors que l’homme d’esprit, cultivé et spirituel, est apprécié pour ses qualités à la fois mondaines et intellectuelles. Si l’homme (ou la femme) est dépourvu de « politesse », il est qualifié de pédant (terme appliqué à Ménage par exemple).

   Seule la classe aristocratique et la haute bourgeoisie possèdent le maniement aisé d langage et l’art de s’adapter à toutes les situations sociales. Elles savent éviter les discours ennuyeux (ennui vs divertissement) et adoptent, en toutes circonstances, les manières qui, dans les limites du bon ton, amusent (récréent, divertissent).

   On adopte donc les mots à la mode (le bel air, le je ne sais quoi) on utilise des hyperboles (cf. les Précieuses) comme enrager, furieusement, miraculeux, etc., ainsi que des expressions figées comme je vous rends grâce, je suis votre valet, etc.  

   Les bourgeois dont se moque Molière ne peuvent que singer le bon ton dans leur langage, leurs vêtements, leur manière de saluer. Cf. Le Bourgeois gentilhomme : sujet de raillerie pour les mondains et confirmation de leur supériorité sociale.

* Le terme passion

   Au 17e siècle, le mot passion a une signification peu précise. On y met la tristesse, la honte, la haine, la faim. Le verbe se passionner ne se rapporte alors qu’à la colère, comme dans Tartuffe : « Vous ne devez pas tant vous passionner » (Acte IV, scène 7).

   Avant le 17e siècle, le terme ne se rapporte pas à la passion amoureuse. On constate donc une mutation de la sensibilité collective qui valorise la la passion, avec une nuance affective. Malherbe écrit dès 1607 : « C’est ici la confession du transport où se trouva jamais une âme touchée de la malheureuse passion à laquelle vous m’avez assujetti. » Le sentiment est assimilé à une torture que la femme fait subir à celui qui la courtise (cf. sens étymologique de souffrance : la passion du Christ).

   D’où l’emploi, très fréquent dans les premières comédies de Corneille de tourment, supplice, gêne, torture, etc.

   Mais cet amour-tourment fait partie du vocabulaire galant, à tel point que les courtisans assistant à la première du Misanthrope trouvent admirable le sonnet d’Oronte. L’hyperbole fait partie du langage mondain : Mme de Sévigné dit de quelqu’un dont les cheveux sont frisés par des papillotes qu’il souffre mort et passion et elle affirme ailleurs que son fils aime de passion Mme de Grignan (sa soeur).

   L’emploi de passion dans le sens de « sentiment » et de passionner dans celui de « s’enthousiasmer » (exemple : « Ceux qui passionnent de savoir nager », dit Cyrano) sont assez courants mais condamnés par Vaugelas et l’Académie. On trouve également passion avec le sens de « mouvement de l’âme, en bien ou en mal » : « Suis moins ta passion, règle mieux ton désir (Horace, Acte IV, scène 5).

   L’inflation du vocabulaire galant empêche quelque peu de déterminer la nature des sentiments amoureux réellement éprouvés à l’époque. Furetière dit ironiquement que « les amoureux se plaignent sans cesse qu’ils éprouvent les tourments les plus rigoureux. »

   Mais la passion, thème dramatique par excellence, est exploitée par la tragédie et le roman : citons simplement Phèdre et La Princesse de Clèves. Dans le roman, Mme de La Fayette écrit : « Il était presque impossible qu’elle pût être contente de sa passion. » Au 17e siècle, passion désignait un emportement des sens provoquant la souffrance. Aujourd’hui, l’idée de douleur est moins présente. Quant à l’adjectif contente, il signalait alors une joie profonde et complète. Aujourd’hui, il indique une satisfaction relative.   

 * Le terme charme

Portrait presumé de Mme de Sévigné au château de Villarceaux   Le mot charme (ainsi que les termes charmer, charmante) exprime au 17e siècle une notion nouvelle. Au Moyen Âge, le charme était un sortilège, une formule magique. Ce sens persiste encore au début du 17e : dans Polyeucte (I, 3), Pauline dit à Stratonice qu’elle craint « des chrétiens les complots et les charmes ». Mais très vite, charme, sécularisé (influence de Montaigne et Descartes), désigne « ce qui plaît, ce qui attire. » Le mot entre dans le vocabulaire courant et La Bruyère, dans les Caractères, évoque « le charme de la nouveauté. »

   Parallèlement, se développe la notion d’attraits : plaisir de la vue et attirance charnelle.

   Le charme est avant tout féminin mais parfois masculin : pour Phèdre (pièce éponyme de Racine), Hippolyte est « charmant ».

   Dans le langage mondain, charme, come air, est un mot vague. On l’applique à tout ce qui plaît. Mme de Sévigné trouve le beurre de Bretagne « charmant » !

   Malherbe emploie le terme au pluriel pour la première fois : davantage que le singulier, il accentue les attraits physiques de la femme, qualifiée depuis 1640, de beau sexe. Mais le siècle reste prude, on le sait, et ne détaille jamais ces charmes.

   Nous ignorons tout des charmes de la princesse de Clèves : taille fine, poitrine ronde, hanches en amphore, bouche voluptueuse ? Taisons-nous et cachons ce sein que nous ne saurions voir...

   En revanche, le portrait ci-contre représente bien Mme de Maintenon, encore veuve Scarron, lorsqu'elle était l'amante de Villarceaux. Mince et de longues jambes fines (rare à l'époque), bref charmante...

Et aussi

* Devoir : obligation d’ordre moral. Dans la plupart des cas, obligation de l’honneur. Cette obligation peut cependant être étrangère à la morale ordinaire.

* Estime : elle naît des mérites. L’amour glorieux se nourrit d’estime réciproque.

* Générosité : au sens étymologique du terme, c’est la noblesse de sang, de naissance, de race, puis la noblesse du naturel et du caractère, liée à la précédente. Rien à voir avec l’inclination à donneur ou la libéralité facile.

* Gloire [1] : considération, « honneur, estime, réputation qui procède du mérite d’une personne » (Dictionnaire de l’Académie). À côté de cette gloire-réputation, il y a une gloire intime : sentiment de fierté, haute idée que le personnage a de lui-même et de ce qu’il se doit. La gloire s’accorde avec l’amour ou lui est contraire. Elle est presque toujours préférée au bonheur.    

* Honneur : principe du devoir. Comme la gloire, c’est à la fois une considération sociale et une exigence intime.

* Mérite : ensemble des qualités, physiques et morales, des « vertus » propres à une élite.

* Vertu : sens très étendu du latin virtus, ensemble de qualités viriles, physique ou morales. Se dit aussi de la valeur morale d’une personne, de sa grandeur d’âme, de son mérite, de l’aspiration à la gloire.

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Notes

[1] Ce terme est courant dans les lettres des contemporaines de l’époque, Mme de Maintenon ou Mme de Sévigné. On utilise le terme « glorieuse » dans le même sens.

Vocabulaire du 17e siècle au théâtre (Corneille et Racine)

Attention aux contresens !  

- Alarmes : inquiétude ou émotion causée par un danger soudain. Toujours employé au pluriel

- Charmant : qui ensorcelle

- Charme : attraits irrésistibles résultant d’une sorte de pouvoir magique. Utilisé le plus souvent au pluriel

- Coup : toute action violente, que ce soit un crime ou un haut fait

- Courroux : colère

- Cruauté : manifestation d’indifférence de la part de la personne aimée envers la personne qui l’aime

- Cruel(le) : qui, par son indifférence, inflige des souffrances à la personne qui l’aime

- Déplaisir : peine violente, angoisse

- Destin : puissance qui détermine la condition des hommes sans qu’intervienne leur volonté ; avenir que le destin réserve à l’homme

- Ennui : chagrin violent, désespoir

- Fers : toujours employé au pluriel dans ses sens figurés : symbole de la captivité ou des liens de l’amour ; on peut jouer sur les deux sens

- Feu : passion amoureuse, métaphore du langage galant ; employé généralement au pluriel

- Funeste : s’applique à tout ce qui est triste, effrayant ou simplement défavorable

- Fureur : manifestation délirante de la colère ou de la douleur

- Haine : tout sentiment qui s’oppose à l’amitié et à l’amour ; peut aller de la simple indifférence à l’hostilité, voire à la répulsion. Cf. le verbe haïr

- Infidèle : qui ne tient pas ses engagements. Cf. le nom infidélité

- Ingrat/ingrate : celui ou celle qui ne paie pas de retour l’amour qu’on lui voue. Cf. le nom ingratitude

- Mépris : le plus souvent au pluriel ; attitude de celui ou de celle qui rebute la personne qui l’aime. Cf.  le verbe mépriser. Noter que mépriser et haïr sont parfois employés indifféremment

- Perfide : qui montre une absence de respect pour les engagements pris ; synonyme de l’adjectif infidèle.

- Rigueur : indifférence, froideur devant l’amour d’autrui

- Sang : synonyme de race

- Soins : le fait de veiller sur quelqu’un ou sur quelque chose, ou bien sur la réalisation d’une action ; ensemble d’actions qui concourent à la réalisation d’un projet ; souci, préoccupation absorbante ; marques de dévouement et d’affection, en particulier au sens galant de prévenances d’un amoureux

- Transport : tout état violent consécutif à une forte émotion, exaltation ou abattement (souvent dû à l’amour)

- Triste : funeste appliqué à une chose ; sombre, farouche, appliqué à une personne

- Vœux : sens galant de manifestations du désir de plaire ou de l’amour non encore réalisé

- Yeux : synecdoque traditionnelle qui désigne la femme aimée.

Vocabulaire amoureux

   Le vocabulaire n‘évoque l’amour que d’une manière allusive, respectant le bon ton, la galanterie et l’esprit.

   Le vocabulaire galant (cf. L’Astrée, Corneille ou La Princesse de Clèves) utilise des termes variés pour désigner les différentes liaisons amoureuses.   

   Mais il ne faut pas croire que ces termes qui nous paraissent vagues aient une signification floue. Le goût du général, à l’époque classique, ne signifie pas celui de l’à peu près : l’intelligence reste lucide.

   Au début du siècle, en réaction contre la grossièreté du 16e siècle, règnent les salons et L’Astrée (1607). Les Précieuses parlent de « belle galanterie » mais La Rochefoucauld, plus réaliste, évoque le « commerce amoureux illicite » (1662).

   Le vocabulaire pudique de Mme de La Fayette disparaît au profit de « commerce », « intrigue » ou « galanterie ».

   Voici une liste non exhaustive des mots relatifs à l’amour :  

   Admirable, adorer, affection, aimable, amant, ami, amitié, amours(s), amourette, amusement, attachement, attraits, aventure, charme(s), commerce, engagement, entente, éperdument, estime, fortune (bonne), fréquentation galant, galanterie, grâce(s), inclination, intelligence(s), jalousie, liaison, mérite, maîtresse, passion, rigueur, tendresse, touchant, etc.

   Mérite désigne les qualités les plus diverses, comme la vertu, la beauté, le caractère qui suscitent un amour objectif. Même chose pour estime.

   Le vocabulaire oscille entre l’hyperbole (furieusement, éperdument, aimer à la folie) et la litote : amitié peut désigner l’amour, et amant s’appliquer au fiancé ou à l‘amoureux platonique. Chez Corneille, Rodrigue est l’amant de Chimène.

   Quant à la galanterie, elle peut évoquer un amour épuré et subtil ou un jeu frivole et dangereux.

   Il faut donc veiller à ne pas pratiquer une lecture anachronique : Furetière nous apprend que faire l’amour pour un homme, c’est « rechercher en mariage » et, pour une femme, « se laisser aller à une galanterie illicite.    

Vocabulaire noble et vague

   * Les mots nobles

   Au 17e siècle, se dégage de plus en plus un style dit noble avec exclusion des mots « bas » (impudiques, vulgaires, populaires), vocabulaire bourgeois, langue des métiers, désignation des animaux et des parties du corps humain. Cette épuration draconienne entraîne un appauvrissement de la langue.

   Ainsi, on refuse artisan, âpreté, barbe, poitrine, ventre (remplacé par flanc), chemise (remplacée par simple appareil. Cf. Athalie), épée (remplacée par fer). Quand Racine emploi un mot « bas » comme chien, il le relève par un adjectif considéré comme « noble », dévorant (Athalie).

   On utilise airain au lieu de cuivre et les périphrases se multiplient. Chez Racine toujours, l’épilepsie est un mal et le fard de Jézabel devient un éclat emprunté.  

   * Les mots vagues

   Ils évoquent davantage qu’ils ne définissent et sont l’expression de la bienséance de l’esprit. Apporter une précision inutile alors que tous les honnêtes gens comprennent à demi-mot serait un manque de tact. Le terme général est toujours préféré au terme précis. Un écrivain classique dira par exemple que X a succombé à des charmes irrésistibles, que les attraits de la dame étaient puissants. Certains de ces termes sont empruntés au vocabulaire poétique du latin comme auguste, hyménée. D’autres sont issus du vocabulaire mondain ou amoureux : galant, mérite, civilité, compliment, poliment, charmant, le monde, esprit, goût, etc.

   Dans l’acte I de Bérénice (Racine), on relève : pompe, appartement, soins, amant fatal, hymen, fortunes, trait (lancé par l’Amour), éclat, ennui, transports, ardeur, charmant.

Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, article de Georges Matoré, professeur honoraire à l’université de Paris-Sorbonne.  

Un autre article sur le langage ici

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Date de dernière mise à jour : 09/02/2018