« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Langage précieux

Le désir de se distinguer du vulgaire s’affirme dans le langage.

   « Les précieuses sont fortement persuadées qu’une pensée ne vaut rien lorsqu’elle est entendue de tout le monde, et c’est une de leurs maximes de dire qu’il faut nécessairement qu’une précieuse parle autrement que le peuple, afin que ses pensées ne soient entendues que de ceux qui ont des clartés au-dessus du vulgaire. » (Somaize). De son côté, l’abbé de Pure notait que leur principale occupation était « la recherche des bons mots et des expressions extraordinaires. » Ainsi s’est créé un véritable jargon précieux.

1. Le vocabulaire

   Parmi les « cinq vœux solennels » de la précieuse, l’abbé de Pure comptait « celui de la pureté du style » et « celui de l’extirpation des mauvais mots ». Telles étaient les tendances essentielles du vocabulaire précieux, avec celle de la singularité.

   * la singularité

   La préciosité se distinguait volontiers par la création de néologismes, comme s’encanailler, féliciter, enthousiasmer, bravoure, anonyme, incontestable, pommadé. Parmi ceux qui se sont perdus : débrutaliser, importamment, soupireur.

   L’exagération était aussi un gage de singularité : on abusait des adverbes superlatifs comme furieusement, terriblement, effroyablement, et des adjectifs furieux, terrible, effroyable, admirable, horrible, ravissant. Dans la scène 10 des Précieuses, Magdelon dit à propos de gants : « Ils sentent terriblement bons » et Cathos trouve les plumes de Mascarille « terriblement belles ». Dans Les Femmes savantes (acte III, scène 2), Philaminte s’exclame : « J’aime superbement et magnifiquement. / Ces deux adverbes joints font admirablement. »

   Au lieu du superlatif, on employait le dernier : « Cela est du dernier galant. »

   * la pureté

   Par bienséance, la préciosité, rejoignant Malherbe et Vaugelas, rejetait les termes réalistes, éveillant des images « insupportables », équivoques ou contenant des « syllabes déshonnêtes ». On remplaçait par des périphrases des mots comme cadavre, charogne, cracher, vomir, excrément, chemise, balai. On évitait poitrine car on disait poitrine de veau et pouls à cause de l’équivoque (vermine). On repoussait également les termes jugés populaires comme barguigner, besogne, bride, trogne, troquer, ainsi que les termes de métier ou de droit qu’on laissait aux « idiots et mécaniques ». Pendant deux siècles, la langue souffrira de cette division en mots nobles et bas. On méprisait également le « vieux langage » (Les Femmes savantes, vers 552) malgré un engouement passager de l’Hôtel de Rambouillet pour les archaïsmes vers 1640.

   * la précision et la propriété des termes

   Il fallait dire « aimer une dame » mais « goûter le melon ». La préciosité qui aimait les nuances psychologiques fixa utilement les sens de termes comme bel esprit, galant, prude, précieuse, honnête homme. Inversement, on émaillait le langage de mots vagues ou inutiles comme joli, ma chère, car enfin, air (bon air, bel air, l’air de la cour). 

2. Le style figuré (figures de style)

   * la périphrase était utilisée soit pour éviter un mot bas, soit pour montrer son ingéniosité. En voici quelques-unes tirées du Dictionnaire des Précieuses, de Somaize :

  • le balai : l’instrument de la propreté
  • la chandelle : le supplément du soleil
  • le chapeau : l’affronteur des temps
  • le soufflet : la petite maison d’Éole
  • la cheminée : l’empire de Vulcain
  • la main : la belle mouvante
  • les larmes : les perles d’Iris
  • les pieds : les chers souffrants
  • le pain : le soutien de la vie
  • le miroir : la conseiller des grâces
  • le fauteuil : les commodités de la conversation
  • les dents : l’ameublement de la bouche
  • un verre d’eau : un bain intérieur
  • la perruque : la jeunesse des vieillards
  • se farder : lustrer son visage
  • se délabyrinther : se peigner
  • les joues : les trônes de la pudeur
  • la lune : le flambeau de la nuit
  • la musique : le paradis des oreilles
  • le nez : les écluses du cerveau
  • les violons : les âmes des pieds
  • les yeux : le miroir de l’âme
  • l’almanach : la mémoire de l’avenir
  • le soleil : l’Œil du ciel, la Source de la lumière, l’Âme du monde, le Maître des astres, le Seigneur des étoiles, le Père du jour, le Fils aîné de la nature, l’Auteur des siècles, le Grand Flambeau, la Force du monde, etc.

Remarque : La Fontaine, dans la fable « L'Homme et son image » évoque les miroirs à la mode :

« ... Les conseillers muets dont se servent nos dames :

Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,

Miroirs aux poches des galands (sic),

Miroirs aux ceintures des femmes... »

   Il était d'usage de porter un miroir à la ceinture. Corneille fait allusion à cette mode dans un jeu de scène de La Place royale (IV, 11) : « Il lui présente aux yeux un miroir qu'elle porte à sa ceinture. »  

   * la métaphore permettait à l’esprit précieux d’exercer sa sagacité :

- tantôt on substituait un objet à un autre :

  • un peigne : un dédale
  • un paravent : un traître
  • des épingles : des sangsues

- tantôt un adjectif désignant la qualité d’un objet était appliqué à un autre objet : billet doux, lèvres bien ourlées, cheveux d’un blond hardi (roux).

- souvent la métaphore reposait sur l’alliance du concret et de l’abstrait : avoir un tour admirable dans l’esprit (tour : outil d’artisan), le masque de la générosité, avoir l’âme sombre, l’intelligence épaisse, travestir sa pensée, châtier sa poésie, quittances d'amour (avoir les cheveux gris).

   Molière toujours dans Les Femmes savantes (vers 746-754), se moquait de ces métaphores subtiles qui se prolongeaient (on « filait la métaphore »). Ainsi Mascarille dans Les Précieuses ridicules répond à Cathos qui lui demande ce qu’il craint : 

   « Quelque vol de mon cœur, quelque assassinat de ma franchise [liberté] ! Je vois ici des yeux qui ont la mine d’être de fort mauvais garçons, de faire insulte aux libertés et de traiter une âme de Turc à More [avec autant de rigueur que les Turcs traitaient les Mores]. Comment diable, d’abord qu’on [aussitôt que] les approche, ils se mettent sur leur garde meurtrière [terme d’escrime] ? Ah ! par ma foi, je m’en défie, et je m’en vais gagner au pied (m’enfuir], ou je veux caution bourgeoise qu’ils ne me feront point de mal. »     

   Les métaphores galantes comparaient souvent l’amour à la guerre (Précieuses, scène 9), aux duels, à la chasse, aux jeux de société. Le chef-d’œuvre du genre ? La Carte de Tendre, où l’amour est un voyage.   

   La surprise était un moyen ingénieux de rendre le style piquant : la pointe par exemple apportait un élément inattendu à la fin d’un poème, comme cette épigramme de Ménage : « Ce portrait ressemble à la belle / Il est insensible comme elle. »

   La surprise peut résulter d’une antithèse (« Belle Philis on désespère / Alors qu’on espère toujours ») ou d’une alliance de mots (« une douce cruauté », « une personne audacieusement craintive »). Les comparaisons visaient à des rapprochements inattendus : ainsi Cotin comparait les taches sur le visage d‘une dame aux taches du soleil.

   L’hyperbole se rattachait au goût précieux de l’outrance, apparaissant chaque fois qu’un amant évoquait son martyre (cf. « Le Sonnet d’Uranie »), ses espérances ou les charmes de sa dame. 

   On recherchait également l’abstraction : des termes comme bonté, grâce, beauté, mérite, douceur, générosité revenaient sans cesse dans la littérature précieuse et souvent ces abstractions étaient personnifiées. C’était aussi la mode de remplacer les mots abstraits par des adjectifs substantifiés comme au temps de la Pléiade : je n’ignore pas le fin et le délicat, démêler le confus, le haut du jour, l’obscur des vallons.

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Date de dernière mise à jour : 24/02/2020