« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme Riccoboni

Mme Riccoboni   Mme Riccoboni est une romancière prolixe, méconnue mais non pas illisible. Avant d'écrire, elle fut comédienne au Théâtre-Italien.

   Les romans les plus célèbres de Mme Riccoboni restent les premiers, notamment Lettres de Mistress Fanni Butlerd (1757), soi-disant traduites de l’anglais, Histoire du marquis de Cressy (1758), Lettres de Mylady Juliette Catesby (1759). Elle se justifiera plus tard ainsi de ses romans : « Le livre d’une personne dont le cœur est bon et les intentions droites n’est jamais décidément un mauvais livre : je voudrais bien qu’on me jugeât sur mes principes. »

   Dans ses romans, elle prône l’équilibre entre la raison et le sentiment, elle n’y met ni métaphysique, ni aventures extraordinaires, elle tente d’écrire juste et refuse tout pessimisme : « Ne vaudrait-il pas mieux élever l’âme que de l’abattre ? Il est des exemples de bonté, de grandeur, de générosité. [...] Ne nous entretenir que de nos faiblesses, c’est dire sans cesse à un malheureux qu’il est à plaindre. Si on ne peut le soulager, eh ! pourquoi l’éclairer sur sa misère ? À un mal incurable, il ne faut que des calmants. (Lettres de Mylady Catesby, XVI).

   Donc, vive le bonheur de l’amour partagé, de la rêverie dans la nature et de la générosité.

   Elle analyse avec une grande attention la souffrance et le confessions de ses héroïnes (tendresse et / ou désespoir). Mais ses personnages n‘ont pas de passions violentes ou sombres (comme Manon Lescaut), ne se posent aucune question sur la providence ou la condition humaine et manquent sans doute un peu d’énergie. Disons qu’ils font partie de humanité moyenne mais avec une vie intérieure intense et nuancée (serait-ce paradoxal ?...). Certes, comme tous les personnages du 18e siècle, ils ressentent de l’inquiétude mais ils ne demandent pas un idéal inaccessible : elle se calme dans une sensibilité joyeuse, une vie calme et sage entourée d’amour et d’amitié. En effet, son héros Mylord Rivers a été dégoûté trop jeune de la dissipation : «... Le vide de mon cœur m’étonna, me parut insupportable. Un naturel tendre me fit penser que l’amour pouvait seul le remplir : mais cet amour sincère, délicat, né de l’estime, de la confiance : sentiment flatteur, délicieux ! préférable à tous les biens, source inépuisable des plaisirs et du bonheur. » (Lettres de Mylord Rivers, XLII). Ainsi serait vaincu le grand fléau de l’époque, l’ennui : « Comment l’ennui s’introduirait-il au sein d’une famille nombreuse, unie, qui mêle le goût des arts agréables à des occupations utiles, et compte parmi les soins du jour celui de préparer les amusements du soir ? » (ibidem, Lettre XXXVIII).

   Un bonheur bourgeois certes, mais difficile à trouver. Il faut beaucoup de malheurs et de tristesses pour le découvrir ; il n’a rien à voir avec les plaisirs matériels. Il est fait du respect d’autrui, de l’estime de soi, d’une conscience en paix, d’un amour sincère, de sociabilité et, s’il le faut, de sacrifices. Si ce bonheur est rare, il ne faut pas en accuse la sensibilité (comme le fera Rousseau) mais « notre inquiétude naturelle, nos caprices [qui] empoisonnent les dons du ciel et nous font prodiguer, sans en jouir, les dons précieux qu’il nous accorde. » (Lettres de Mylady Catesby, XV) Ainsi s’exprime l’amoureuse abandonnée. Et Fanni Butlerd qui s’écrie : « Ah ! qu’on est heureux d’avoir une âme sensible ! » lorsqu’elle se croit aimée, ne se renie pas quand elle est trahie, déclarant à son amant et parlant d’elle-même à la troisième personne : « Non, ce n’est point cette passion qui fit couler ses pleurs, qui porta la douleur et l’amertume dans son âme. Elle n’accuse que vous des maux qu’elle a soufferts. [...] Elle ne hait point l’amour, elle ne hait que vous. » (Lettres de Fanni Butlerd). Les vrais coupables sont les hommes. La romancière, d’habitude modérée et indulgente les accuse de tous les maux : ils sont inconstants, menteurs, ambitieux, sensuels, incapables de discerner le véritable amour, traitant les femmes comme des jouets ou des enfants. Sans doute s’inspire-t-elle de sa propre expérience... Qua faire contre le malheur ? S’appuyer sur les principes de la vertu, « solides et vrais qui nous rendent capables de jouir avec modération des biens de la fortune, ou nous aident à en supporter courageusement la privation, principes si nécessaires pour conserver de la dignité dans les divers événements de la vie. C’est par eux seuls que nous pouvons souffrir beaucoup, et ne pas nous trouver tout à fait malheureux. » (Histoire de Miss Jenny).

   Cette tendance sentencieuse ne rend pas ces romans illisibles : la morale n’est ni conventionnelle, ni pédante ; elle fait appel à la vertu et à l’honneur, mais aussi aux plus subtils élans du cœur ; c’est une morale élevée, résignée mais courageuse, lucide sur les faiblesses des hommes (et des femmes), prête à pardonner, trouvant l’indulgence dans la souffrance, en somme une véritable morale humaine.     

   Par ailleurs, les personnages sont vrais, les jeunes filles vives et gracieuses, moqueuses et spontanées, mélancoliques et passionnées. Le style est chaleureux, les situations pathétiques.

   Formée à l’école de Marivaux, elle réagit contre le déluge de sensibilité qui envahit la littérature après 1760 (et contre Rousseau). Mais elle augmentera par la suite la part de romanesque dans l’action : Histoire de Miss Jenny en 1764 et surtout Lettres d’Élisabeth-Sophie de Vallière en 1771. Dans cet ouvrage, la première partie est un roman psychologique et sentimental dans le goût de la première moitié du siècle, la seconde, qui raconte des faits antérieurs, propose des couleurs sombres, des caractères étranges et des événements troublants bien que l’auteur laisse deviner une explication rationnelle à la force posthume d’une malédiction paternelle ; le dénouement réunit solidement les deux parties, le bonheur de Sophie réparant les fautes et les malheurs de trois personnages qui jouent un rôle dans les faits ayant précédé sa naissance ; grâce à elle, Lindsey rachète le passé, efface les imprudences et les folies, tout ce qui déclenché les horribles malentendus dans l’histoire de ses parents.    

   Notons que c'est elle qui termine La Vie de Marianne ou Les Aventures de la comtesse de... que l’auteur, Marivaux, publie de 1731 à 1741. Il le laisse inachevé : le roman s’interrompt après la onzième partie. Mme de Riccoboni lui donne un dénouement en écrivant une douzième partie sous le titre Suite de la Vie de Marianne de M. de Marivaux, où tout est bien qui finit bien : Marianne retrouve son grand-père, noble seigneur écossais, et peut épouser son prince charmant. 

   On connaît sa correspondance avec Laclos au sujet des Liaisons.

   On sait par ailleurs que Marie-Antoinette, lectrice peu assidue, lit volontiers ses romans...

Sources : Henri Coulet, op. cit.

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Date de dernière mise à jour : 17/11/2017