« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mlle de Lespinasse

Bon à savoir sur Julie de Lespinasse

   Julie est la fille illégitime du comte Gaspard de Vichy, frère de la marquise du Deffand, et de la comtesse d'Albon. Elle est élevée par sa mère qui, à la veille de sa mort, la confie au comte et à la comtesse de Vichy.

   En 1754, Julie de Lespinasse devient la dame de compagnie de Mme du Deffand, qui l'introduit dans le milieu des mondanités parisiennes en faisant d'elle la lectrice de son salon. La jeune fille ne tarde pas à gagner l'estime du cercle d'amis de Mme du Deffand où sa vivacité d'esprit et son intelligence brillante sont immédiatement remarquées et appréciées. Jalouse du succès de sa protégée, Mme du Deffand la tient à l'écart de ses réunions avant de la congédier définitivement en 1763.

   Julie de Lespinasse ouvre alors son propre salon qui, bien que plus modeste que le précédent, attire les philosophes les plus brillants (d'Alembert, Condillac, Marmontel, Condorcet, Turgot) et devient un important foyer du mouvement encyclopédiste. Courtisée par d'Alembert, elle dirige son estime vers deux autres hommes, le marquis de Mora et le comte de Guibert.

   L'échec de ces deux liaisons passionnées altère profondément la santé de la jeune femme qui s'abandonne au désespoir et meurt un an après avoir appris le mariage de son deuxième amant, le premier étant mort. 

   Certains voient dans son tempérament exalté et dans la violence de ses sentiments les signes avant-coureurs des tendances du romantisme. Sa correspondance enflammée avec le comte de Guibert, publiée en 1809, constitue un document précieux sur son époque.

   Remarque : En 1760, d’Alembert, voulant faire élire Julie de Lespinasse, propose de réserver 4 sièges sur 40 à des femmes, mais il échoue car les femmes ne peuvent entrer dans « les corps électifs » que si leur éligibilité est stipulée. On offrira plus tard un fauteuil à Mme de Genlis si elle renonce à un manifeste contre les Encyclopédistes. Elle préfère renoncer à l’Académie.

Aspect physique

   Julie n'est pas belle mais grande et bien faite, la taille mince et la démarche souple - importance de la démarche en ce temps-là -. Les traits sont irréguliers, la bouche trop grande, le nez épais et retroussé - on préférait alors le nez droit -, le front très bombé, les paupières un peu lourdes. Mais elle a d'admirables yeux noirs au regard intelligent.

Julie de Lespinasse (gravure d'après Carmontelle)

   Si bien qu'on se met à la trouver charmante, à être séduit par la mobilité de son visage qui refléte les mouvements de son esprit. Et de l'esprit, elle en a à revendre ! Elle sait rire aux éclats puis redevenir grave l'instant suivant, allumer son regard d'ironie et sourire. La séduction, quoi… En un mot, on dit qu'elle a « de la physionomie » - expression du temps -, souvent supérieure à la beauté froide et lisse. Hélas, elle a eu la petite vérole et son visage reste grêlé.

    Elle sait s'habiller, jugeant le superflu nécessaire : dans sa garde-robe s'entassent jupons de taffetas ou de mousseline, jupes à la polonaise, manteaux de lit en soie, pelisses d'intérieur de satin blanc doublées de renard, mantelets doublés de martre, manchons de grèbe au plumage argenté, manchettes de gaze blonde, robes de pékin cramoisies et une quarantaine de toilettes de soie et de satin. Elle a une femme de chambre fidèle et dévouée, Louise Agnès Saint-Martin.

Entrons dans le salon de Julie

   Il est certes moins remarquable que celui de Mme du Deffand car ses moyens financiers sont moindres. On remarque des boiseries blanches et des rideaux de soie cramoisie se retroussant en portières sur les portes d'entrée. Des bergères, des ottomanes, de fauteuils moelleux encombrent un peu la pièce. Dans un coin, on voit une chiffonnière en bois de merisier, à côté un petit secrétaire en bois de rose. Plus loin un bureau à cylindre, un rouet à filer la laine, un second petit bureau à cylindre en bois satiné garni d'ornements de cuivre d'or moulu. Les bustes de Voltaire et d'Alembert sourient sur la cheminée. Aux murs sont accrochées des gravures de Beauvarlet d'après Van Loo, des scènes romaines de Dietrich, des estampes de Greuze, les portraits de d'Alembert et de Turgot dans des bordures de bois doré.

   Près du salon et donnant sur la rue Saint-Dominique, se trouve la chambre à coucher tendue de damas rouge. Un lit recouvert d'une courtepointe de damas cramoisi se cache dans une alcôve aux rideaux assortis. A côté, une écritoire de bois noirci couvert de cuir noir, deux fauteuils rouges, une bergère garnie de coussins et recouverte de gourgouran, étoffe de soie venue des Indes et travaillée par les ateliers de Tours. Au mur, un tableau et des estampes. Telle en est la description donnée par Louise Agnès Saint-Martin, la femme de chambre. Il semble qu'à la différence de Mme du Deffand, Julie ne reçoive pas dans sa chambre.

Ils ont dit

   Voilà un florilège des admirateurs de Julie qui sont nombreux, non pas tant pour sa beauté que pour son esprit et son intelligence.

   * « On n'approche pas de son âme sans se sentir attiré. Est-on dans cet état de langueur qui est la situation habituelle de tous les gens du monde quand ils n'ont ni peine, ni plaisir, on en sort bientôt auprès d'elle. Elle échauffe les imaginations et enflamme les âmes. Elle sait que le secret de plaire est de s'oublier pour s'occuper des autres, et elle s'oublie sans cesse. Son grand art est de mettre en valeur l'esprit des autres, et elle en jouit plus que de montrer le sien. » (Marquis de Guibert - son grand amour -, Éloge d'Élisa).

   * « Rien n'est plus vrai. Elle sait dire à chacun ce qui lui convient, et cet art quoique peu commun, est pourtant bien simple chez elle, il consiste à ne jamais parler de vous aux autres et beaucoup d'eux. En somme, elle est l'âme de la conversation, et n'en fait jamais l'objet. » (D'Alembert, qui l'aima désespérément, in Portrait de Mlle de Lespinasse).

   * « Est-il quelque sentiment exquis, quelque rare vertu qui honorent l'humanité et qui ne soient pas dans son cœur ? » (Guibert)

   * « C'est en effet un caractère ardent et noble. Personne ne peut rester insensible au rayonnement de sa pensée, à son naturel incomparable. » (Abbé Morellet, Mémoires).

   * « Naturelle ! personne ne l'est autant qu'elle. Le tact ! Voilà ce qu'elle possède au suprême degré. Jamais elle ne se méprend, jamais elle ne confond, jamais elle ne dit quelque chose de sensible à qui ne peut pas la sentir, et n'exprime une pensée fine à qui ne peut l'entendre. Sa conversation n'est jamais au-dessus ou au-dessous de ceux à qui elle parle. Elle semble avoir le secret de tous les caractères, la mesure et la nuance de tous les esprits. » (Guibert).

   * « Elle inspire tant de confiance qu'il n'y a personne qui, au bout de quinze jours de connaissance, ne soit prêt à lui raconter l'histoire de sa vie. Aussi personne n'a jamais eu autant d'amis et chacun d'eux en est aimé comme s'il était le seul à l'être. » (La Harpe, Correspondance littéraire).

   * « Il est curieux de voir que les gens qu'elle a pris çà et là dans le monde sont si bien assortis qu'ils se trouvent comme les cordes d'un instrument montées par une habile main. En suivant la comparaison, je pourrais dire qu'elle joue de cet instrument avec un art qui tient du génie ; elle semble savoir quel son rend la note qu'elle va toucher ; je veux dire que nos esprits et nos caractères lui sont si bien connus que pour les mettre en jeu elle n'a qu'un mot à dire. Son talent de jeter en avant la pensée et de la donner à débattre, son talent de discuter elle-même et de varier l'entretien, toujours avec l'aisance et la facilité d'une fée qui, d'un coup de baguette, change à son gré la scène de ses enchantements, ce talent, dis-je, n'est pas d'une femme vulgaire. » (Marmontel).

   * « Il est vrai que la conversation de Julie n'a jamais ces instants de langueur et ces lacunes d'intérêt qu'on trouve parfois dans les livres les mieux écrits. Ce n'est pas tant ce qu'elle dit, car il est vrai qu'elle dit le plus souvent des choses simples. Elle ne dit jamais rien d'une manière commune, et cet art qui semble n'en être pas un chez elle ne se fait jamais sentir, et ne la fait jamais tomber dans la recherche et l'affectation. La prétention, de quelque espèce qu'elle soit, lui est antipathique. Elle ne peut supporter ce qui sent l'effort et l'apprêt. Elle préfère le rude et l'ébauché à ce qui est trop gracieux et trop fini. » (Guibert).

   * « Je dirais qu'elle attache un peu trop de prix justement à ce qui est gracieux et élégant, et qu'elle pousse un peu loin son goût de la simplicité élégante. J'en ai été témoin la semaine dernière chez Mme Geoffrin. Mlle de Lespinasse, comme vous le savez, avait un vif désir de rencontrer Buffon, et la reine mère qui s'était chargée de lui procurer ce bonheur avait engagé Buffon à venir passer la soirée chez elle. Voilà Mlle de Lespinasse aux anges, se promettant bien d'observer cet homme célèbre et de rien perdre de ce qui sortirait de sa bouche. La conversation ayant commencé de la part de Mlle de Lespinasse par des compliments flatteurs et fins, comme elle sait les faire, on vient à parler de l'art d'écrire, et quelqu'un remarque avec éloge combien M. Buffon avait su réunir la clarté à l'élévation du style, réunion difficile et rare. « Oh, diable, dit M. de Buffon, la tête haute, les yeux à demi fermés et avec un air moitié niais, moitié inspiré, oh, diable ! quand il est question de clarifier son style, c'est une autre paire de manches. » A cette comparaison de vues, Mlle de Lespinasse qui se trouble, sa physionomie s'altère, elle se renverse sur son fauteuil répétant entre ses dents : « Une autre paire de manches ! Clarifier son style ! » Elle n'en revint pas de toute la soirée. » (Abbé Morellet).

   * « Seul petit travers de la plus charmante des créatures. S'il faut absolument lui trouver un défaut, j'admets celui-là. Elle peut, à la vérité, être impitoyable jusqu'à la minutie sur ce point particulier. Elle n'aime que le mot juste parce qu'elle-même a toujours le mot fort et juste. Elle est toujours vraie, et c'est en cela que réside son irrésistible séduction. » (D'Alembert).

   * « Ce qui m'a toujours frappé, c'est le rapport, si je puis m'exprimer ainsi, l'harmonie entre ses pensées et ses expressions. Est-elle animée par son esprit ou par son cœur, ses mouvements, son visage, tout, jusqu'au son de sa voix, forme un accord parfait avec ses paroles. C'est par ce défaut que la conversation de tant de gens est sans chaleur et sans effet. Ils n'ont jamais ni l'expression ni l'accent de ce qu'ils disent. Ils se battent les flancs pour s'animer, et leur voix monotone trahit leur froideur. Leur esprit leur fournit quelquefois des choses sensibles mais leur visage est en contresens avec elles. Quelquefois par adresse ou par hasard, ils ont une inflexion juste ; mais cette inflexion perd bientôt tout son prix, parce que, l'instant d'après, ils l'appliquent à une pensée, pour laquelle elle n'était pas faite. Que me fait le sourire aimable, le regard touchant de certaines femmes ? ce charme ne les quitte jamais ; il est de tous les temps, de tous les lieux ; elles l'emploient avec un sot et un fou ; dès lors, ce charme n'en est plus un pour moi. » (Guibert).

   * « En somme, elle nous inspire l'innocent désir de lui plaire. » (Grimm).

   * « Parce qu'elle a l'âme la plus ardente, et l'imagination la plus inflammable qui ait existé depuis Sapho, et que le feu circule dans ses veines. » (Marmontel).

   * « Bientôt Mlle de Lespinasse rassembla la société la plus choisie et la plus agréable en tout genre. Depuis cinq heures du soir jusqu'à dix, on était sûr d'y trouver l'élite de tous les états, hommes de cour, hommes de lettres, ambassadeurs, seigneurs étrangers, femmes de qualité ; c'était un titre de considération d'être reçu dans cette société. Mlle de Lespinasse en faisait le principal agrément. Je l'ai beaucoup vue sans être intimement liée avec elle. Je puis dire que je n'ai point connu de femme qui eût plus d'esprit naturel, moins d'envie d'en montrer, et plus de talent pour faire valoir celui des autres. Personne non plus ne savait mieux faire les honneurs de sa maison ; elle mettait tout son monde à sa place, et chacun était content de la sienne. Elle avait un grand usage du monde, et l'espèce de politesse la plus aimable, celle qui a le ton de l'intérêt." (La Harpe, Correspondance littéraire).

Elle a dit

   * « Il n’y a que le malheur qui soit vieux ; il n’y a que la passion qui soit raisonnable. »

   * « Le silence est si doux, lorsqu’il peut consoler l’amour-propre ! »

   * « Mon Dieu, que ne puis-je souffrir tout ce que je crains que vous ne souffriez ! »

   * « Une femme sans grâce est un appât sans hameçon. »

   * « Il n’y a que l’amour-passion et la bienfaisance qui me paraissent valoir la peine de vivre. »

   * « J’ai souffert, j’ai haï la vie, j’ai invoqué la mort… Oh ! qu’elle vienne ! et je fais le serment de ne pas lui donner de dégoût et de la recevoir au contraire comme une libératrice ! »

   * « Mon ami, délivrez-moi du malheur de vous aimer [...].Je suis entraînée vers vous par un sentiment que j’abhorre, mais qui a le pouvoir de la malédiction. » (À Guibert)

Sources : Marie-Christine d’Aragon et Jean Lacouture, Julie de Lespinasse, Mourir d’amour (Éditions Complexe, 2006).

Histoire de sa correspondance

Guibert   Destinées par Mlle de Lespinasse à être brûlées, les Lettres à Guibert ont été livrées au public en 1809. Julie les avait enfermées dans un secrétaire verrouillé, légué à son amant. Elles font scandale.

   Sainte-Beuve note dans ses Portraits intimes : « Au moment où ces lettres parurent, ce fut un grand émoi dans la société où vivaient encore, à cette date, quelques amis de Mlle de Lespinasse. On déplora fort cette publication indiscrète ; on réprouva la conduite des éditeurs qui déshonoraient ainsi, disait-on, la mémoire d’une personne jusque-là considérée et qui livraient son secret à tous sans en avoir le droit. On invoqua la morale et la pudeur ; on invoqua la renommée même de Mlle de Lespinasse. Cependant on jouissait avidement de cette lecture qui passe de bien loin en intérêt La Nouvelle Héloïse en action. »

   Il écrit dans ses Causeries du Lundi : « Dans la saison où ces lettres parurent, une brillante société était réunie aux bains d’Aix-en-Savoie. On était allé en visite à Chambéry ; au retour, il y avait une voiture où ses trouvaient Mme de Staël, Benjamin Constant, Mme de Boigne, Adrien de Montmorency, etc. Pendant ce voyage, un accident survint au dehors : tempête, tonnerre, empêchements et retards de toute sorte. En arrivant à Aix, les personnes qui étaient dans la voiture trouvèrent les gens de l’hôtel tout inquiets et les interrogeant. Mais eux, les voyageurs, ils n’avaient rien vu ni remarqué de ces petits accidents : c’est que Mme de Staël avait parlé pendant tout ce temps-là et qu’elle parlait des Lettres de Mlle de Lespinasse et de ce M. de Guibert, qui avait été sa première flamme. »

   Ces lettres sont publiées grâce à Mme de Guibert elle-même et au conventionnel Barrère, salué ainsi par Sainte-Beuve, toujours dans ses Causeries du Lundi : « Oh ! si feu Barrère n’avait jamais rien fait de pis dans sa vie que de publier ces Lettres, et s’il n’avait jamais eu de plus grosse affaire sur la conscience, nous dirions aujourd’hui de grand cœur en l’absolvant : Que la terre lui soit légère. »       

   Une nouvelle édition en 1906 sous le titre Correspondance entre mademoiselle de Lespinasse et le comte de Guibert fait entendre la voix du destinataire, qui brise la cohérence romanesque de ce qu’on peut appeler roman épistolaire et la présente comme le jouet pitoyable de son aveuglement.

Lettre célèbre de Julie à Guibert

   Dimanche au soir, 23 octobre 1774

   « Mon ami, pour me calmer, pour me délivrer d’une pensée qui me fait mal, il faut que je vous parle : j’attends l’heure de la poste de demain avec une impatience que vous seul peut-être pouvez concevoir. Oui, vous m’entendez, si vous ne pouvez me répondre, et c’est quelque chose : il serait sans doute plus doux, plus consolant d’être en dialogue ; mais le monologue est supportable, lorsqu’on peut se dire : je parle seule, et cependant je suis entendue. - Mon ami, je suis dans une disposition physique détestable ; je l’attribue à cette ciguë : elle a conservé, je crois, quelque propriété du poison ; je me sens dans une défaillance, dans une angoisse qui m’a fait croire aujourd’hui vingt fois que j’allais perdre connaissance, et dans ce moment même, je suis dans un malaise inexprimable : je sens ce que disait Fontenelle peu de temps avant sa mort, une grande difficulté d’être. Mais ce qui anime mon âme me donne la force de vous parler : car, en vérité, je n’ai pas eu un mouvement ou une parole de la journée. - Je ne sais si je vous ai dit que j’avais vu la femme du comte de … : sa figure est commune ; mais elle a le ton obligeant, et elle a grande envie de plaire, cependant telle qu’elle est, je ne la trouverais pas assez bien pour être la femme de l’homme que j’aime le plus. Mon ami, j’en suis plus sûre que jamais, tout homme qui a du talent, du génie, et qui est appelé à la gloire, ne doit pas se marier. Le mariage est un véritable éteignoir de tout ce qui est grand et qui peut avoir de l’éclat. Si on est honnête et assez sensible pour être un bon mari, on n’est plus que cela, et sans doute ce serait bien assez si le bonheur est là. Mais il y a tel homme que la nature a destiné à être grand, et non à être heureux. Diderot a dit que la nature, en formant un homme de génie, lui secoue le flambeau sur la tête, en lui disant : sois grand homme, et sois malheureux : voilà, je crois, ce qu’elle a prononcé le jour que vous êtes né. Bonsoir. Je n’en puis plus ; à demain. »

Julie de Lespinasse, Correspondance, Lettre au marquis de Guibert (lettre 65)

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En guise de conclusion

   On le sait, Stendhal ne se fait aucune illusion sur ses contemporains. Lorsqu'il publie De l'Amour, il prépare une Préface pour l'édition de 1826 (première édition en 1822) :

   « Cet ouvrage n'a eu aucun succès ; on l'a trouvé inintelligible, non sans raison. Aussi dans cette nouvelle édition [...] l'auteur a fait une préface, une introduction, tout cela pour être clair ; et malgré tant de soins, sur cent lecteurs qui ont lu Corinne [de Mme de Staël], il n'y en a pas quatre qui comprendront ce livre-ci. »

   Il rédige ensuite cette seconde préface, sans doute plus agressive et plus vraie :

   « Je n'écris que pour cent lecteurs, et de ces êtres malheureux, aimables, charmants, point hypocrites, point moraux, auxquels je voudrais plaire, j'en connais à peine un ou deux. De tout ce qui ment pour avoir de la considération comme écrivain, je n'en fais aucun cas [...]. Que si vous n'avez jamais été malheureux par cette faiblesse des âmes fortes, que si vous n'avez pas l'habitude, contre nature, de penser en lisant, ce livre-ci vous donnera de l'humeur contre l'auteur ; car il vous fera soupçonner qu'il existe un certain bonheur que vous ne connaissez pas, et que connaissait Mlle de Lespinasse. »

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Date de dernière mise à jour : 07/11/2017