« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mlle de Lespinasse, héroïne du Rêve de d'Alembert (Diderot)

Julie de Lespinasse s'émancipe dans Le Rêve de d'Alembert (Diderot)

Julie de lespinasse (Carmontelle, détail)   Dans Le Rêve de d’Alembert (1769), conçu comme une longue conversation, Diderot fait intervenir Julie de Lespinasse qui s’ouvre au raisonnement philosophique et apporte sa contribution à la discussion portant sur une vision mécaniste et matérialiste du monde. Le dialogue avec Bordeu (1), porte-parole de Diderot libère Julie de ses préjugés, notamment sexuels. L’ingénue va s’émanciper.

   Elle refuse d’abord de s’apercevoir que d’Alembert jouit dans son sommeil. Bordeu l’enveloppe alors dans une atmosphère érotique et libertine, la complimente, fait des allusions badines. La curiosité de Julie s’éveille et elle pose des questions osées sur le sexe. Suit une conversation sur le désir charnel, l’onanisme, et l’homosexualité. Bordeu soutient que ce ne sont que des pulsions naturelles, donc acceptables. Qu’en est-il alors du vice et de la vertu, du respect de soi, de la honte et de la mauvaise conscience ? Le docteur en appelle au caractère dérisoire du moi, « puérilité fondée sur l’ignorance et la vanité d’un être qui s’impute à lui-même le mérite ou le démérite d’un instant nécessaire. »

   Dans cet ouvrage, le sexe devient la métaphore des Lumières : Julie comprend que toutes les questions peuvent être posées, et que la honte est exclue de la pensée.

   Pourquoi choisir Julie ? Par un souci de vraisemblance, d’abord : on connaît sa longue amitié – amoureuse ? - ; avec d'Alembert, par moquerie ensuite : connue pour ses goûts raffinés et son langage élégant, voilà que Julie partage une scène intime avec d’Alembert, écoute des discours libertins et se met à converser de perversions sexuelles !

   C’est que, pour Diderot, la conversation mondaine trop codifiée est devenue stérile : les conventions sociales sont sacrifiées à la recherche de la vérité.

Sources : L'Age de la conversation, op. cit.

Remarque

   L'ouvrage fait suite à un premier dialogue nommé Entretiens entre d'Alembert et Diderot, et sera prolongé d'une Suite. L'audace des thèses avancées amènera Diderot à détruire les manuscrits. Les textes ne furent publiés qu'en 1830 à partir d'une copie.

   Ce livre est déroutant et nouveau, tant par sa forme que par son contenu : 

* Force de la matière : « L'homme n'est qu'un moment, un accident dans l'immense devenir matériel. »

* Prescience de l'évolutionnisme : « Tout est un flux perpétuel. [...] Tout animal est plus ou moins homme ; toute plante est plus ou moins animal. »

* Primat de l'espèce et rejet de la notion d'individu : « Il n'y a qu'un seul grand individu, c'est le tout. »

   Autre ouvrage déroutant de Diderot : Jacques le Fataliste. Il joue en effet, bien avant la mode, avec le fameux horizon d'attente (mis en avant par Jauss) : le récit de voyage attendu par le lecteur est remplacé par une histoire qui démonte les mensonges inhérents à la fiction romanesque.

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Notes

(1) Médecin érudit, ami de Diderot, qui rédigea l’article « Crise » pour l’Encyclopédie.

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Date de dernière mise à jour : 07/11/2017