« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mlle de Scudéry

Introduction

Mlle de Scudéry   Madeleine de Scudéry est la reine des précieuses, sans aucun doute. Elle lut beaucoup, écrivit encore plus, conversa en son salon, fréquenta toutes les ruelles du Marais et fit partie du Tout-Paris lettré de cette époque.

   On a pu dire à son sujet que l'esthétique romanesque de Mlle de Scudéry avait été mise en oeuvre non par elle mais par Mme de La Fayette. Henri Coulet rétorque : « C'est que le respect de la vraisemblance et du naturel, le désir de peindre le cœur humain et d'instruire sur lui le lecteur, le souci d'une structure simple et logique de l'oeuvre étaient affirmés dans les préfaces, mais combattus dans la pratique par l'obéissance aux règles factices de l'épopée, et par le goût de l'invraisemblance, des coups de théâtre, des intrigues compliquées, ainsi que par le recours paresseux à une psychologie stéréotypée. Les mots nature, vérité, vraisemblance, raison n'avaient pas le même sens en 1640 qu'en 1670. » (Le Roman jusqu'à la Révolution, Albin Michel, 1967, 2000).

Salon

   Après la Fronde, d'autres salons que celui de Mme de Rambouillet connurent la notoriété : on allait chez Mme de Sablé et Mlle de Montpensier - la Grande Mademoiselle -, Mmes de Sully, de Choisy, de La Suze ou encore, plus bourgeoisement chez Mme Scarron - la future Mme de Maintenon -. Mais le salon le plus important, qui prétendait succéder à l'Hôtel de Rambouillet, fut celui de Mlle de Scudéry.

   Ancienne habituée de la « chambre bleue » de l'Hôtel de Rambouillet, Mlle de Scudéry ouvrit son salon vers 1652. Tous les samedis, dans son salon du Marais - rue de Beauce - devenu le quartier à la mode, elle réunissait bourgeoises entichées de romans et gens de lettres : Pellisson, Ménage et d'autres. Moins mondain et moins aristocratique que l'Hôtel de Rambouillet, ce salon eut des activités avant tout littéraires. Ses fameux « samedis » se transportaient parfois chez Mme Aragonnès - rue d'Anjou -, connue dans la société précieuse sous le nom de Philoxène : c'est chez elle que le samedi 20 décembre 1653 se déroula la Journée des Madrigaux où toutes les personnes présentes dans son salon durent improviser des madrigaux.  

   Tous les ans, Mlle de Scudéry publiait - sous le nom de son frère - un ou plusieurs tomes de ses romans-fleuves : Le Grand Cyrus (10 volumes, 15 000 pages, 1649-1653), puis Clélie (10 volumes, 10 000 pages, 1654-1661) aujourd'hui illisibles. Les habitués du salon se reconnaissaient dans les héros de ses romans, y retrouvaient leurs histoires ou leurs conversations sur des sujets galants. Chacun d'eux reçut un surnom tiré du Cyrus : Mlle de Scudéry fut Sapho - la poétesse grecque -, Pellisson devint Acante, etc. On chantait les « chansons » que l'on venait d'écrire, on s'exerçait aux genres à la mode, on organisait des tournois poétiques : 25 madrigaux sur un même sujet en une seule soirée ! On commentait les derniers potins littéraires. On prit parti dans la querelle entre Mlle de Scudéry et l'abbé d'Aubignac qui lui disputait l'invention de la « Carte de Tendre ». Ce salon donna le ton de la préciosité littéraire et morale pendant de longues années.

Portrait

   D'après un témoignage du temps, Madeleine de Scudéry « était laide ; son teint surtout virait au noir, ôtait à sa figure toute prétention à la beauté. » Il est vrai qu'alors, on aimait les peaux diaphanes...

   Voici son portrait, tel qu'elle l'a peint elle-même dans Le Grand Cyrus, sous le nom de Sapho : « ... Qu'encore qu'elle se dise petite lorsqu'elle veut médire d'elle-même, elle est pourtant de taille médiocre [moyenne], mais si noble et si bien faite qu'on ne peut rien y désirer. Pour le teint, elle ne l'a pas de la dernière blancheur ; il a toutefois un si bel éclat qu'on peut dire qu'elle l'a beau. Mais ce que Sapho a de souverainement agréable, c'est qu'elle a les yeux si beaux, si vifs et si pleins d'esprit, qu'on ne peut ni en soutenir l'éclat, ni en détacher ses regards. En effet ils brillent d'un feu si pénétrant, et ils ont pourtant une douceur si passionnée, que la vivacité et la langueur ne sont pas des choses incompatibles dans les beaux yeux de Sapho. Ce qui fait leur plus grand éclat, c'est que jamais il n'y a eu une opposition plus grande que celle du blanc et du noir de ses yeux. Cependant cette grande opposition n'y cause nulle rudesse. De plus, elle a des choses qui ne se trouvent pas toujours ensemble, car elle a la physionomie fine et modeste, et elle ne laisse pas aussi d'avoir je ne sais quoi de grand et de relevé dans la mine. Sapho a, de plus, le visage ovale, la bouche petite et incarnate, et les mains si admirables que ce sont en effet des mains à prendre des cœurs, ou, si on la veut considérer comme une fille chèrement aimée des Muses, ce sont des mains dignes de cueillir les plus belles fleurs du Parnasse. »

(Georges et Madeleine de Scudéry, Le Grand Cyrus, Xe partie, livre II)

Amour des animaux

   Mlle de Scudéry aimait s'entourer d'animaux : elle avait un chien, un chat, des tourterelles - qu'elle libéra -, une tortue dans son jardin, une guenon et un perroquet - auquel Leibniz adressa des vers latins - et trois caméléons qu'on lui avait rapportés d'Égypte. Comme Mme de Sévigné, elle protesta contre la théorie de Descartes des animaux-machines dans une lettre à Huet de 1689, dont elle venait de recevoir un ouvrage en latin contre le philosophe, Censura philosophica cartesiana : « ... Je voudrais bien cependant que vous m'eussiez aussi envoyé quelque habile traducteur, afin de ne perdre rien d'un livre qui n'est pas favorable à certaines machines cartésiennes, contre lesquelles je me suis déclarée hautement il y a longtemps, sans employer pourtant contre le philosophe que mon chien, ma guenon et mon perroquet. Le philosophe que vous attaquez si vivement a une nièce - Catherine Descartes, renommée pour sa culture et son esprit - que j'aime beaucoup et qui a infiniment de mérite ; mais elle entend raillerie sur la philosophie de son oncle, comme vous le verrez par un madrigal qu'elle m'envoya au commencement d'avril, lorsqu'elle sut que la pauvre fauvette était revenue dans mon petit bois - le jardin attenant à sa maison du Marais -, suivant sa coutume :

« Quand la plus belle des fauvettes

Je vis revenir où vous êtes,

Ah ! m'écriai-je alors avec étonnement,

N'en déplaise à mon oncle, elle a du jugement. »

   Toutes ces dames chérissaient les animaux domestiques : Mlle de Scudéry, à part sa fauvette, aimait sa colombe et son caméléon ; Mme de Montglas ses chiens et ses chats ; la Palatine ses chiens ; la duchesse de Bouillon sa guenon ; les nièces de Mazarin, une ribambelle ; Mme du Plessis-Bellière, amie de Fouquet, son perroquet auquel on fit l’hommage de vingt-huit bouts rimés pour la consoler de son trépas qui l'attrista davantage que celui de son mari, survenu peu après... 

   Chez elle, les domestiques proposaient, en vers aux aussi, douceurs et rafraîchissements : à force d’en entendre, les rimes se formaient spontanément dans les esprits. On dégustait du vin doux, du sirop d’orgeat, des biscuits à la cannelle, des fruits confits, des tartelettes aux amandes, des tartes aux fruits, des brioches, des confitures et des pets-de-nonne. On y dégustait le moins de viande possible en raison de cette passion pour les animaux.   

En guise de conclusion

   À la fin de sa vie, Mlle de Scudéry devint sourde, ce qui l’empêchait d’aller entendre les sermons des prédicateurs, Bossuet notamment ; on les copiait pour qu’elle les lise dans sa chambre. Sa vue n’était plus très bonne mais elle ne renonça pas aux vers ni à sa correspondance avec ses admirateurs vivant au loin : elle était encore célèbre dans toute l’Europe.     

   Toujours gourmande mais édentée, elle n’avalait plus que des soupes et des compotes. Grâce à l’intervention de Mme de Maintenon, le roi lui accorda une pension de deux mille livres, somme plus que suffisante pour son petit jardin, ses bêtes et ses livres. 

   N'oublions pas toutefois cette note de Sainte-Beuve dans Portraits et Causeries : « L'Académie française décerna en 1671, pour la première fois, le prix d'Éloquence, fondé par Balzac (Guez de). Ce prix, à l'origine, consistait en une espèce de discours ou de sermon sur une vertu chrétienne. Le premier sujet désigné par Balzac même était De la louange et de la gloire : Mlle de Scudéry le traita et obtint le prix, au grand applaudissement de tout ce qui restait de vieux académiciens du temps de Richelieu. Cette muse, qui enlevait d'emblée la première couronne, et qui allait mener le cortège des futurs lauréats, avait pour lors soixante-quatre ans. »

   Bel exploit au XVIIe siècle, pour une femme de cet âge ! Ne médisons donc pas trop de Mlle de Scudéry...  

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Date de dernière mise à jour : 14/10/2017