« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Rambouillet

Bon à savoir sur Mme de Rambouillet

Mme de Rambouillet   Surnommée « l'incomparable Arthénice » - l'anagramme est de Malherbe -, Catherine de Vivonne, Italienne naturalisée, épouse en 1600 Charles d'Angennes, futur marquis de Rambouillet et lui donne sept enfants, rien de plus normal à cette époque. De santé précaire et ne supportant pas les fatigues de la cour, elle attire chez elle les beaux esprits et s'efforce de retrouver la vie brillante qu'elle a menée en Italie.

   Vers 1604, elle fait construire, rue Saint-Thomas-du- Louvre, un splendide hôtel particulier, très moderne pour l'époque, à la façade de brique et de pierre. Elle en élabore elle-même les plans qui font l'émerveillement de tous : au lieu d’un escalier au milieu avec les pièces réparties de part et d’autre, elle le dispose sur le côté et obtint ainsi une grande enfilade de vastes salons. En revanche, nul couloir d'accès : toutes les pièces se commandent les unes les autres. Mais que de vastes perspectives ! Que de lumière !

    Sa « chambre bleue », un bleu rehaussé d’or et d’argent, surprend car la couleur habituelle est alors le rouge ou le fauve (on dit « tanné »), voire le vert foncé. Elle y installe des paravents, ménageant ainsi des endroits plus intimes. Et multiplie les tableaux, bahuts, buffets, cabinets de bois précieux, tables d'ébène, vases et bibelots. On admire fort le lustre de cuivre doré et le lit à colonnes recouvert de satin, bleu évidemment, comme les tentures, rideaux et « meubles » des sièges.   

   Dans ses Historiettes, Tallemant des Réaux, après avoir décrit l’hôtel de Rambouillet, évoque les jardins que fait planter la marquise, avec une allée de sycomores ; elle se vante « d’être la seule dame dans Paris qui voit de la fenêtre de son cabinet faucher un pré. »

   Dans son ouvrage Le Grand Cyrus, Mlle de Scudéry décrit ainsi le palais de Cléomire - Mme de Rambouillet - : « ... Elle s'est fait faire un palais de son dessin, qui est un des mieux entendus du monde, et elle a trouvé l'art de faire en une place de médiocre grandeur un palais d'une vaste étendue. L'ordre, la régularité et la propreté sont dans tous ses appartements et à tous ses meubles ; tout est magnifique chez elle et même particulier ; les lampes y sont différentes des autres lieux ; ses cabinets sont pleins de mille raretés qui font voir le jugement de celle qui les a choisies ; l'air est toujours parfumé dans son palais ; diverses corbeilles magnifiques, pleines de fleurs, font un printemps continuel dans sa chambre, et le lieu où on la voit d'ordinaire est si agréable et si bien imaginé, qu'on croit être dans un enchantement, lorsqu'on y est auprès d'elle... »

   Elle reçoit ses intimes dans la célèbre « chambre bleue », assistée de ses deux filles, Julie d'Angennes puis Angélique. Belle, vertueuse sans être prude, cultivée sans être pédante, elle fait de son salon le centre du bon goût et de la bienséance.

   Elle parle l'italien et l'espagnol (langues à la mode en ce temps), un peu le latin (elle regrette de ne pouvoir lire Virgile qu'en traduction) et s'intéresse à l'histoire romaine. Au demeurant, ses gens (son personnel) l'aiment beaucoup - chose assez rare en ce temps pour le souligner - et l'appellent « la grande marquise ».  

   De caractère assez mélancolique, elle a besoin de gaieté autour d'elle, se montre volontiers libérale et même « un peu trop complimenteuse » selon son cousin Tallemant des Réaux. Malherbe lui fait la cour vainement car, selon Voiture, il n'y a jamais eu de dame qui a « si bien entendu la galanterie, ni si mal entendu les galants. »

   De santé relativement fragile, je l’ai dit, elle supporte mal la fatigue des fêtes officielles de la cour. Chapelain affirme qu'elle « n'a santé que de l'esprit, vivant au reste une vie fort languissante » et que « les galanteries de l'hôtel de Rambouillet ne se font toujours que pour divertir Arthénice, qui en a toujours grand besoin. »

   Note au sujet de son surnom : selon Michel Chaillou (La Fleur des rues, Fayard, 2000), la marquise de Rambouillet est surnommée Rodanthe par Malherbe, ce qui l’étonne. Il lui répond : « Ah ! Madame, j’avais trouvé le plus beau nom du monde en retournant le vôtre, mais Racan l’a pris. » Il s’agit d’Arthénice.

On distingue trois périodes

   De 1620 à 1625, ses hôtes de marque sont Richelieu, Villars, Guiche, la princesse de Conti, Mmes de Sablé, de Clermont, la cantatrice Mlle Paulet - surnommée la lionne à cause de sa chevelure rousse - ; des écrivains : Malherbe, Racan, Vaugelas, Segrais.

   La deuxième période (1645-1648) est la plus brillante : elle reçoit des grands seigneurs comme le duc d'Enghien - le futur Grand Condé - et sa sœur Mlle de Bourbon, le duc de La Rochefoucauld, le duc de Montausier - qui épousera sa fille Julie d'Angennes - ; des écrivains : Voiture, Mlle de Scudéry et son frère Georges, Ménage, Benserade, Scarron - le futur époux de Françoise d'Aubigné -, Corneille - qui vient y lire de temps en temps une nouvelle pièce -. Mais le mariage de Julie, la mort de son fils et celle de Voiture, puis la Fronde précipitent le déclin de cette noble assemblée.

   De 1648 jusqu'à sa mort en 1665, le salon, fréquenté pourtant par Mme de Sévigné et Mme de La Fayette, est éclipsé par d'autres cercles plus animés. Dans les dernières années, Mme de Rambouillet, ne pouvant plus supporter le feu, se couvre les oreilles de coiffes qui la rendent sourde, enfouit ses jambes dans un sac en peau d'ours et branle un peu la tête...

Amusements et jeux de société

   L'hôtel de Rambouillet n'a rien à voir avec les précieuses ou les savantes de Molière : on s'y amuse. Chapelain écrit à Guez de Balzac le 22 mars 1638 : « Vous ne sauriez avoir de curiosité pour aucune chose qui le mérite davantage que l'hôtel de Rambouillet. On n'y parle point savamment, mais on y parle raisonnablement. » Si l'on parle grammaire ou littérature, tout pédantisme en est banni. Tallemant témoigne : c'était « un tintamarre permanent » de fêtes et de rires. 

   * Les plaisanteries en font les beaux jours. Un matin, on fait croire au comte de Guiche - plus tard maréchal de Gramont - qu'il est empoisonné par des champignons et qu'il a enflé pendant la nuit : en effet, il n'entre plus dans ses habits (qu'on a rétrécis)... Cette plaisanterie est rapportée par Tallemant des Réaux dans ses Historiettes. Un autre jour, Voiture introduit des ours dans le salon ; une autre fois, il est condamné par un « tribunal » à être « berné » - lancé en l'air sur une couverture - pour n'avoir pas su distraire la petite Mlle de Bourbon malade. Un autre jour, Mme de Rambouillet, toutes fenêtres fermées et rideaux tirés, met le feu à de l'eau-de-vie contenue dans un plat et contemple avec plaisir les visages de ses invités devenus « couleur de satin de la Chine »...  

   * Les jeux de société sont nombreux : jeu du cœur volé (on cherche la « voleuse »), de la chasse à l'amour (qui se cache dans les yeux d'une dame), du corbillon (« J'aime tel ou telle pour telles qualités ou tels défauts »), de la lettre (toutes les réponses doivent commencer par la lettre convenue d'avance). Au jeu de la perle des cœurs, chaque personne reçoit un nom illustre - Hélène, Lucrèce, Ulysse, etc. - ; l'une dit : « J'ai perdu mon cœur ». Question : « Qui vous l'a pris ? ». Réponse : « C'est Clélie. » (Par exemple). Si Clélie ne rejette pas la faute sur une autre, elle donne un gage. Au « jeu des bêtes », tous les assistants prennent un nom d'animal et on le met en vente en faisant valoir sa marchandise.

   * On écoute chanter Mlle Paulet. On donne des bals masqués. On se rend à la campagne, au château de Rambouillet, pour y donner un « cadeau » - collation champêtre - : les jeunes filles se déguisent en nymphes et l'on danse au son des violons cachés dans les massifs.

   * Les divertissements littéraires tiennent évidemment une grande place. Les habitués lisent tous beaucoup et, en souvenir de l'Astrée - roman précieux d'Honoré d'Urfé -, adoptent des noms romanesques : Mme de Rambouillet devient donc Arthénice, sa fille Julie Mélanide, son futur gendre Menalidus, Voiture est surnommé Valère. On participe aux controverses littéraires, à la querelle des sonnets, à la guerre des « Matineuses ». On prend la défense de la conjonction « car » menacé par l'Académie Française et on écoute sévèrement Polyeucte de Corneille - ce mélange de religion et d'amour profane déplaît -. Un soir, le jeune Bossuet improvise un sermon. Les hôtes de Mme de Rambouillet écrivent de nombreuses lettres et pratiquent tous les genres littéraires à la mode. Ils sont nombreux à participer au recueil de La Guirlande de Julie.

   * La conversation est l'occupation par excellence, portée à la hauteur d'un art raffiné. Selon Mlle de Montpensier, le plaisir de la conversation est « le plus grand de la vie et presque le seul ». On débat de sujets psychologiques : « La beauté est-elle nécessaire pour faire naître l'amour ? Le mariage est-il compatible avec l'amour ? ». On en arrive à de subtils problèmes de casuistique amoureuse : « Quel est l'effet de l'absence en amour ? » ou encore « La présence de ce qu'on aime cause-t-elle plus de joie que les marques de son indifférence ne donnent de peine ? » On discute « de l'embarras où se trouve une personne quand son cœur tient un parti et la raison un autre ». Dans Polyeucte, on s'intéresse davantage à l'amour contrarié de Pauline et de Sévère qu'au martyre de Polyeucte. Le grand animateur de l’assemblée est Voiture : il organise les jeux, invente des divertissements, lance des modes littéraires nouvelles ; il est « l'âme du rond » qui se défait à sa mort.

   C'est ainsi que Saint-Simon a pu écrire un siècle plus tard : « L'Hôtel de Rambouillet était, dans Paris, une espèce d'Académie de beaux-esprits, de galanterie, de vertu et de science ; car toutes ces choses-là s'accommodaient alors merveilleusement ensemble. »

   Mais chez la marquise, la littérature n'est tenue que pour un jeu. Reste toutefois que Mme de Rambouillet contribue à l'affinement des mœurs et donc de l'esprit français. Grâces lui soient rendues ! Toutefois, Segrais dira : « Mme de La Fayette avait beaucoup appris d'elle, mais Mme de La Fayette avait l'esprit plus solide. » (Remarque rapportée par Sainte-Beuve). 

   * Une lettre de Voiture au cardinal de La Valette écrite autour de 1630 nous renseigne sur les distractions campagnardes de l’Hôtel de Rambouillet :

   « Madame le Princesse, Mademoiselle de Bourbon, Madame du Vigean, Madame Aubry, Mademoiselle de Rambouillet, Mademoiselle Paulet, Monsieur de Chaudebonne et moi partîmes de Paris, sur les six heures du soir, pour aller à La Barre, où Madame du Vigean[1] devait donner la collation à Madame le Princesse. […] Nous entrâmes dans une salle où l’on ne marchait que sur des roses et de la fleur d’orange. Madame la Princesse, après avoir admiré cette magnificence, voulut aller voir les promenoirs en attendant l’heure du souper. […] Au bout d’une allée grande à perte de vue, nous trouvâmes une fontaine qui jetait toute seule plus d’eau que toutes celles de Tivoli. A l’entour étaient rangés vingt-quatre violons. […] Quand nous nous en fûmes approchés, nous découvrîmes dans une niche qui était dans une palissade, une Diane à l’âge de onze ou douze ans, et plus belle que les forêts de Grèce et de Thessalie ne l’avaient jamais vue. […] Dans une autre niche auprès était une de ses nymphes, assez belle et assez gentille pour être une de sa suite. Ceux qui ne croient pas les fables, crurent que s’était Mademoiselle de Bourbon et la pucelle Priande. […] Tout le monde était sans proférer une parole, en admiration de tant d’objets, qui étonnaient en même temps les yeux et les oreilles, quand tout à coup la déesse sauta de sa niche, et avec une grâce qui ne se peut représenter, commença un bal qui dura quelque temps, à l’entour de la fontaine. […] Et cela eût duré trop longtemps, si les violons n’eussent vitement sonné une sarabande si gaie, que tout le monde se leva aussi joyeux que si rien n‘eût été. Et ainsi sautant, voltigeant, pirouettant, cabriolant, nous arrivâmes au logis, où nous trouvâmes une table qui semblait avoir été servie par les fées. […] Au sortir de la table, le bruit des violons fit monter tout le monde en haut, où l’on trouva une chambre si bien éclairée, qu’il semblait que le jour qui n’était plus dessus la terre s’y fût retiré tout entier. (…] Le bal continuait avec beaucoup de plaisir, quand tout à coup un grand bruit que l’on entendit dehors obligea toutes les dames à mettre la tête à la fenêtre : et l’on vit sortir du grand bois qui était à trois cents pas de la maison un tel nombre de feux d’artifice, qu’il semblait que toutes les branches et les troncs d’arbres se convertissent en fusées… »

   Ainsi, l’oisiveté aristocratique devient représentation artistique.


[1] Anne de Neufbourg, riche bourgeoise ayant épousé le baron du Vigean

Portrait de Cléomire, marquise de Rambouillet, par Mlle de Scudéry

    Les « portraits » étant alors à la mode, voici celui de Mme de Rambouillet dans Le Grand Cyrus (Mlle de Scudéry) :

   « Cléomire est grande et bien faite ; tous les traits de son visage sont admirables ; la délicatesse de son teint ne se peut exprimer ; la majesté de toute sa personne est digne d'admiration et il sort je ne sais quel éclat de ses yeux qui imprime le respect dans l'âme de tous ceux qui la regardent. Sa physionomie est la plus belle et la plus noble que je vis jamais, et il paraît une tranquillité sur son visage qui fait voir clairement qu'elle est celle de son âme. On voit même en la voyant seulement que toutes ses passions sont soumises à raison et ne font point de guerre intestine dans son cœur ; en effet je ne pense pas que l'incarnat qu'on voit sur ses joues ait jamais passé ses limites et se soit épanché sur tout son visage, si ce n'a été par la chaleur de l'été ou par la pudeur, mais jamais par la colère ni par aucun dérèglement de l'âme ; ainsi Cléomire étant toujours également tranquille, est toujours également belle.

   Au reste, l'esprit et l'âme de cette merveilleuse personne surpassent de beaucoup sa beauté ; le premier n'a pas de bornes dans son étendue et l'autre n'a point d'égale en générosité, en constance, en bonté, en justice et en pureté. L'esprit de Cléomire n'est pas un de ces esprits qui n'ont de lumière que celle que la nature leur donne, car elle l'a cultivé soigneusement, et je pense pouvoir dire qu'il n'est point de belles connaissances qu'elle n'ait acquises. Elle sait diverses langues et n'ignore presque rien de tout ce qui mérite d'être su, mais elle le sait sans faire semblant de le savoir et on dirait à l'entendre parler, tant elle est modeste, qu'elle ne parle de toutes choses admirablement comme elle fait, que par le simple sens commun et par le seul usage du monde. Cependant elle se connaît à tout : les sciences les plus élevées ne passent point sa connaissance ; les arts les plus difficiles sont connus d'elle parfaitement... »

Remarque :

   Cette forme littéraire du portrait est pratiquement un genre qui a vu le jour dès l’Antiquité, quand des historiens ou des moralistes ont voulu peindre des personnages illustres, comme Plutarque dans ses Vies parallèles, Lucien de Samothrace dans son dialogue Les Images (ou Les Portraits), Théophraste dans ses Caractères (imités par La Bruyère). 

   Le portrait est un élément constitutif récurrent d’une oeuvre narrative au même titre que la description avec laquelle il entretient d’évidentes parentés. Le portrait peut être alors défini comme la description d’un être animé par les moyens de l’écriture en vue de montrer ou de rendre présent un acteur fictionnel. Sous cette forme, le portrait est devenu, à partir de l’ère classique, un passage obligé du roman. Les romans à clés de Mlle de Scudéry (voire même de Mme de Lafayette) ajoutent un piquant supplémentaire au principe descriptif : qui se cache sous Cléomire ?

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Date de dernière mise à jour : 13/10/2017