« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Valeur métaphorique du nom (Marie-Antoinette)

Signature de Marie-Antoinette  

   Le nom, on le sait aujourd’hui, a une valeur symbolique et donc métaphorique. Qu’Antonia se traduise par Antoinette, soit ; mais l’ajout du « Marie », banal en soi à l'époque et en dépit de sa connotation religieuse chère au cœur des Bourbons, ne peut que renforcer chez elle une dépendance à la mère, l’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche, qui ne s’éteindra pas à sa mort, le 29 novembre 1780. Jamais la reine n’oubliera qu’elle est la « fille de » et les événements semblent le corroborer : elle est guillotinée le 16 octobre, le lendemain de la Sainte-Thérèse. À se demander si sa mère lui porte chance ou malchance. Mais ce serait faire un mauvais procès que d’accabler une impératrice qui, comme tous les souverains, mènent une politique matrimoniale : Marie-Thérèse ne fait que son devoir.  

   Après son mariage, on ne l’appellera plus désormais que Marie-Antoinette. Du reste, on la nomme ainsi depuis son entrée en France : première perte d’identité pour la jeune Antonia, Josépha, Johanna, cadette de l’impératrice Marie-Thérèse. Ce changement de nom s’inscrit dans la norme et la jeune princesse n’y prête guère attention, pleine de bonne volonté envers son nouveau pays. Certes, elle ne connaît que depuis peu de temps son destin de future reine des Français mais elle vient de subir une formation accélérée. Héritière de la Maison d’Autriche, descendante de la dynastie des Habsbourg-Lorraine, fille de la grande Marie-Thérèse, elle ne peut que s’incliner devant un destin qui ne se présente pas si mal, il faut l’avouer.

   Les noms et les surnoms joueront un grand rôle dans la vie de la reine. Elle appellera sa fille aînée, baptisée Marie-Thérèse, « Mousseline » et son dernier fils « Chou d’amour », charmantes désignations qui suggèrent une tendresse fondante, un bonheur léger et une clarté vaporeuse : ses enfants appartiennent à un rêve heureux et harmonieux, hélas contredit par la réalité : la petite Marie-Thérèse est revêche et n'aime pas sa mère et Chou d'amour aura la vie - et la mort - que l'on sait.

   La jeune princesse fait aussi des cauchemars dont elle préfère rire, surnommant la comtesse de Noailles, sa première dame d’atours, « Madame l’Étiquette » et les trop vieilles dames de la cour des « siècles », ce qui les fâche, réaction bien compréhensible face à une jeune moqueuse ; cependant, une future reine de France n’a pas le droit d’être jeune ou moqueuse. En ce domaine, la tradition a force de loi : l’épouse de Louis XIV pas plus que celle de Louis XV ne manifestèrent une quelconque tendance à l’irrévérence. Dans certains domaines, la reine est très révolutionnaire.

   Elle va même jusqu’à traiter le roi de « pauvre homme » lors du sacre du 11 juin 1775, croyant l’avoir berné dans l’affaire Choiseul, ce qui est loin d’être le cas. Ce mépris nonchalant, cette pitié dédaigneuse sont bien ce qu’elle éprouve pour son époux après l’onction royale. Oublieuse de la valeur cérémonielle et sacrée des longues heures passées dans la cathédrale de Reims, elle se préoccupe avant tout d’intrigues de palais, poussée en cela par sa mère.

   Elle n’aime guère le couple formé par le grand-duc Paul, fils de Catherine II, et son épouse, princesse de Wurtemberg, voyageant sous le nom de comte et comtesse du Nord, qu’elle est obligée de recevoir à Trianon au printemps 1782 et les baptise négligemment les « Nord ». Une antipathie ressentie par la baronne d’Oberkirch, amie de l’archiduchesse, dont les Mémoires, bien entendu, manquent d’indulgence mais qui ne sont pas dépourvus d’intérêt anecdotique. 

   Nous ignorerons toujours comment elle nommait Louis XVI dans l’intimité, ou bien ses deux grandes amies de cœur, la princesse de Lamballe et la comtesse de Polignac que la cour nommait la « comtesse Jules », faisant ainsi référence à son époux car son prénom de baptême, Yolande, sentait un peu trop son Moyen Age.

   Bien inconsidérément, elle baptise en riant Mademoiselle Rose Bertin son « ministre des modes ». À ce moment, Marie-Antoinette n’est plus la « petite princesse de vingt ans » tant aimée du peuple : ses frasques et ses dépenses sont connues ; le fait qu’elle-même officialise en somme un budget déjà lourdement grevé ne peut que déplaire, le pire étant sans doute que la reine soit tout à fait inconsciente de l’impact de cette appellation dans les couches défavorisées de la population. Du reste, la couturière n’est pas davantage aimée à la cour. Rose Bertin sait imaginer des vêtements mais aussi des noms qui plaisent à la reine, avide de nouveautés mais aussi - osons le mot - de modernité non pas tant pour être en avance sur son temps mais pour être remarquée. « Miroir, mon beau miroir, quelle est donc la plus belle ? ». Et les courtisans, ou du moins ses entours de répondre : « Vous, Madame ! ». Et l’on s’empresse de lui plaire : une saison, on porte des robes couleur « cheveux de la reine », un blond argenté et moiré ; la saison suivante, la mode est à la couleur « caca dauphin » ; une autre fois, on s’habille en « puce », un marron bien terne, couleur inventée par Louis XVI qui a du bon sens. La reine sourit : son époux aurait-il de l’esprit ?   Elle-même n’est pas ménagée : les pamphlets graveleux vont pleuvoir sous la plume des gazetiers, diaristes et mémorialistes révolutionnaires et l’appellation de « l’Autrichienne » est sans doute un moindre mal.

   Madame du Barry la surnomme très vite « la rouquine », non point tant pour la couleur de ses cheveux - Marie-Antoinette est blonde - que pour se venger du dédain qu’elle lui manifeste ; les rousses ne sont point à la mode (en ce temps, on n'aime que la blondeur). Mais la du Barry est déjà de l’histoire ancienne ; elle disparaîtra avec la mort de Louis XV, le 10 mai 1774 : la dauphine devient reine.

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