« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Notion de bonheur (suite)

Notes de lecture

« Je connais un Anglais qui s’est pendu pour ne pas avoir à renouer sa cravate chaque matin. » (Goethe)

   Le droit au bonheur est un mot d’ordre émancipateur des Lumières. Selon Saint-Just, le bonheur est une idée neuve en Europe, ce qui est faux. On s’en préoccupe depuis l’Antiquité.

   En 1738, Mirabeau adresse une lettre à Vauvenargues où il lui reproche de se laisser vivre au jour le jour, le bonheur exigeant un programme : « Eh quoi, mon cher, vous pensez continuellement, vous étudiez, rien n’est au-dessus de la portée de vos idées et vous ne songez pas un moment à vous faire un plan fixe vers ce qui doit être notre unique objet : le bonheur. » Il s’agit pour Mirabeau de ses défaire de ses préjugés, préférer la gaieté aux humeurs et suivre ses inclinations tout en les épurant.

   Le XVIIIe siècle consacrera près de cinquante traités sur le bonheur. A cet égard, Diderot disait que « les théories du bonheur ne racontent jamais que l’histoire de ceux qui les font. »

   Selon la religion catholique, le bonheur n’est pas de ce monde et Bossuet écrit : que les pécheurs « se couvrent de toutes les ombres de la nuit, ils seront découverts et jugés. » Il ajoute : « Le monde, pauvre en effets, est toujours magnifique en promesses. » Pascal affirme de son côté qu’il y a « toujours assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables. » Et encore : « La mort qui nous menace à chaque instant doit infailliblement nous mettre dans peu d’années dans l’horrible nécessité d’être ou anéanti ou malheureux. » Dans sa Correspondance avec la princesse Palatine, Descartes écrit que la mort rend l’âme « capable de jouir d’une infinité de contentements qui ne se trouvent point en cette vie. »

   La notion de Purgatoire fut inventée au XIIe siècle mais l’Enfer terrifiant est inventé à la Renaissance. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, se développe un christianisme accommodant qui ne choisit pas le Ciel contre la Terre mais les associe l’un à l’autre. Malebranche montre le bonheur comme un mouvement ascensionnel qui va des plaisirs mondains aux jouissances célestes, l’âme voyageant naturellement vers l’illumination finale. Il parle du « devoir de bonheur », qu’il identifie au perfectionnement spirituel et fait de la réhabilitation de l’amour-propre l’un des instruments du salut. Idée reprise par Kant dans Fondements de la métaphysique des mœurs : « Assurer son propre bonheur est un devoir car le fait de ne pas être content de son état, de vivre pressé de nombreux soucis et au milieu de besoins non satisfaits pourrait devenir aisément une grande tentation d’enfreindre ses devoirs. » Cet impératif hypothétique prépare le règne de la loi morale.

   La notion moderne du bonheur repose sur cette phrase de Voltaire : « Le Paradis terrestre est où je suis » (Le Mondain, 1736).

  L’utilitarisme anglais demande « le maximum de bonheur pour le maximum de gens » (Bentham), Adam Smith voit dans le désir de l’homme d’embellir sa condition un signe divin, Locke recommande de fuir l’inconfort.

   Et la Déclaration d’indépendance américaine inscrit dans ses statuts que « la vie, la liberté et la recherche du bonheur » font partie des droits humains inaliénables.

   Condorcet écrit à propos de la Révolution française : « Un seul instant a mis un siècle de distance entre l’homme du jour et celui du lendemain. » Les Lumières croient en la régénération de l’espèce humaine par les efforts conjugués du savoir, de l’industrie et de la raison. Mais il n’est pas si facile d’être heureux :  l’homme est partagé « entre les convulsions de l’inquiétude et la léthargie de l’ennui », écrit Voltaire dans Candide ; Julie, dans La Nouvelle Héloïse, dit : « Je ne vois partout que des sujets de contentement et je ne suis pas contente […], je suis trop heureuse et je m’ennuie. »

Sources : Pascal Bruckner, L’Euphorie perpétuelle (Grasset, 2000).

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