« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Contre les descriptions

   Dans son ouvrage Les Textes : types et prototypes (Colin, 2e édition 2009), Jean-Michel Adam évoque le prototype de la séquence descriptive :          

   « Dans son Essai sur le récit (1776), l’abbé Bérardier de Bataut écrit : « Que de lieux communs où l’on décrit une campagne, un torrent, une tempête, et qui peuvent convenir à toutes sortes de sujets ? Ce sont des espèces de pièces de rapport qu’on déplace à son gré et qu’on enchâsse où l’on veut. On pourrait en faire un répertoire disposé par lettres alphabétiques en forme de dictionnaire, pour la commodité des plagiaires. »

   Au 18e siècle, sous l’influence des poètes anglais Thompson, Gray et Wordsworth, se développe une poésie descriptive à laquelle la maître de rhétorique écossais Hughes Blair fait allusion en termes peu élogieux (1830 : « Par poésie descriptive, je ne veux point désigner une espèce ou une forme particulière de composition, parce qu’il n’en est aucune de quelque étendue qui soit purement descriptive, c’est-à-dire dans laquelle le poète n’ait uniquement voulu décrire, sans qu’un récit, une action ou un sentiment forme le sujet principal de son ouvrage. Les descriptions sont plutôt des ornements que des sujets de poèmes. »

   A la même époque, dans son article « Descriptif » (1787) de l’Encyclopédie, Marmontel s’en prend lui aussi à la poésie descriptive : « Ce qu’on appelle aujourd’hui en poésie le genre descriptif, n’était pas connu des Anciens. C’est une invention moderne, que n’approuve guère, à ce qu’il me semble, ni la raison, ni le goût. » Son argumentation est entièrement fondée sur l’absence d’autonomie de la description :

   « Il arrive à tous les hommes de décrire en parlant, pour rendre plus sensibles les objets qui les intéressent ; et la Description est liée avec un récit qui l’amène, avec une intention d’instruire ou de persuader, avec un intérêt qui lui sert de motif. Mais ce qui n’arrive à personne, dans aucune situation, c’est de décrire pour décrire, et de décrire encore après avoir décrit, en passant d’un objet à l’autre, sans autre cause que la mobilité du regard et de la pensée ; et comme en nous disant : « Vous venez de voir la tempête ; vous allez voir le calme et la sérénité. » 

   Pour l’esthétique classique, le défaut majeur de la description réside dans le fait qu’elle ne comporte ni ordre, ni limites et semble, dès lors, soumise au caprice des auteurs.

   Marmontel continue ainsi : « Toute composition raisonnable doit former un ensemble, un Tout, dont les parties sont liées, dont l milieu réponde au commencement, et la fin au milieu : c’est le précepte d’Aristote et d’Horace. Or dans le poème descriptif, nul ensemble, nul ordre, nulle correspondance : il y a des beautés, je le crois, mais des beautés qui se détruisent par leur succession monotone, ou leur discordant assemblage. Chacune de ces Descriptions plairait si elle était seule : elle ressemblerait du moins à un tableau. Mais cent Descriptions de suite ne ressemblent qu’à un rouleau où les études de Vernet seraient collées l’une à l’autre. Et en effet, un Poème descriptif ne peut être considéré que comme le recueil des études d’un poète qui exerce ses crayons, et qui se prépare à jeter dans un ouvrage régulier et complet les richesses et les beautés d’un style pittoresque et harmonieux.»

[...]

   En 1690, dans le troisième dialogue du Parallèle des Anciens et des Modernes, Charles Perrault insistait déjà sur la difficulté d’intégrer les morceaux descriptifs. Cela l’amenait même à critiquer le cadre – narratif et descriptif – des dialogues platoniciens, qu’il n‘hésitait pas à qualifier de surcharge inutile.

_ _ _ Fin de citation

   Une dernière remarque : les descriptions rendent-elles la réalité ? Non, d’après Diderot qui raconte l’anecdote suivante dans l’Encyclopédie : un homme qui souhaite posséder le portrait de la femme aimée, charge une centaine de peintres d’en faire le portrait à partir de la description écrite et détaillée qu’il en avait donnée. Le pauvre homme reçoit alors « cent portraits, qui tous ressemblent rigoureusement à sa description, et dont aucun ne ressemble à un autre, ni à sa maîtresse. »     

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Date de dernière mise à jour : 02/05/2021