« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Contre l’Encyclopédie

   Certains la critiquèrent, comme Palissot de Montenoy dans Les Philosophes (1760), Les Cercle ou Les Originaux (1755) qui présente Rousseau comme un excentrique cosmopolite, Petites Lettres sur les Grands Philosophes (1756) où il reproche à ces derniers de trop se congratuler réciproquement, se moquant de Duclos, Rousseau et accusant Diderot d’avoir emprunté sa philosophie de la nature à Bacon ainsi d’avoir plagié Goldoni dans son Fils naturel.

   Hostilité partagée par bon nombre de contemporains : Jacob-Nicolas Moreau (bibliothécaire de Marie-Antoinette) raconte dans l’article « Avis utile » (Mercure de France du 6 octobre 1757) un voyage imaginaire au cours duquel il découvre le pays des Cacouacs (du grec kakos : les « méchants » Encyclopédites) : sauvages sans mœurs ni patrie, ils tuent leurs ennemis grâce au poison caché sous leur langue et consignent leurs croyances saugrenues dans sept livres sacrés (les sept volumes parus de l’Encyclopédie).   

   Lors de son discours de réception à l’Académie française le 10 mars 1760, Lefranc de Pompignan protège le trône et l’autel. Selon lui, il ne s’agit pas de rédiger des traités de morale come Duclos ou d’approfondie la géométrie comme d’Alembert pour être philosophe : « Le sage vertueux et chrétien, voilà le philosophe », dit-il.

   La comédie Les Philosophes fut créée le 2 mai 1760 au Théâtre Français avec le soutien du duc de Choiseul. La pièce attire 12 839 spectateurs en quatorze représentations et anime les conversations des salons. S’inspirant des Femmes savantes de Molière pour faire s’affronter Cydalise, déjà corrompue par la philosophie en vogue, et Damis qui ne trouve en celles-ci qu’un dangereux fatras. Palissot épargne d’Alembert et Voltaire, mais s’en prend à Duclos, Helvétius, Rousseau et Diderot : tous « misérables charlatans de la philosophie ». Crispin (Rousseau) entre en scène à quatre pattes et, sortant une laitue de sa poche, déclare :

« En nous civilisant, nous avons tout perdu,

La santé, le bonheur, et même la vertu

Je me renferme donc dans la vie animale ;

Vous voyez ma cuisine, elle est simple et frugale. »

   Quant à la proclamation du cosmopolitisme de Dortidius (Diderot), elle ne peut que heurter une France qui sort des désastres de la Guerre de Sept ans :

« Je m’embarrasse peu du pays que j’habite,

Le véritable sage est un cosmopolite. »

      Les philosophes réagissent et Voltaire fait représenter le 26 juillet sa pièce Le Caffé, ou l’Ecossaise, annoncée comme traduite de l’anglais, qui remporte un triomphe.

   En 1764, Palissot publie les trois premiers livres de sa Dunciade, où il s’inspire de Pope et annonce son programme :

« Je vais chanter les brigues, les complots

De la Sottise et de sa confrérie,

Venger le Goût, s’est servir sa Patrie. »

   Au nom de Boileau et du classicisme, il attaque Marmontel et les femmes de lettres, d’autres auteurs bien oubliés et encore Diderot qui a mis au point un « Tragique bourgeois » en pillant Goldoni :

« Il convenait qu’une fois en sa vie

Ce bel esprit passât pour créateur […]

Et le brevet en fut, par apostille,

Ecrit au bas du Père de famille.

L’heureux mortel, par ce brevet flatteur

Est décoré du titre d’inventeur ;

Et Goldoni ne doit jamais prétendre

A réclamer ce qu’il a pu lui prendre. »

   Dans son Neveu de Rameau (1762), Diderot le traite de « scélérat » et de « dangereux coquin.

   On sait que Palissot perd son combat. Dans son Mémoire sur la vie de l’auteur rédigé par lui-même, il se plaint d’être « assailli depuis vingt ans par d’odieux libelles », et il est vrai qu’on ne lui fait pas de cadeaux.

   Toutefois, Les Philosophes inspirent plus de dix ans après sa création le marquis de Sade pour sa pièce Le Philosophe soi-disant.   

Sources : Gérard Durozoi, Histoires insolites du patrimoine littéraire, Hazan, 2019.

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