« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Mme de Maintenon et religion

Mme de Maintenon, sincère ou hypocrite ?

   Saint-Germain

   La cour ne s’installa définitivement à Versailles qu’en mai 1682. Jusque-là, le siège du pouvoir était à Saint-Germain, d’où Mme de Maintenon écrivit cette lettre à l’abbé Gobelin, le 8 janvier 1680. Dévotion, bonnes œuvres, humilité et discrétion… Qu’en penser ? Elle eut une destinée si singulière qu’il est presque impossible de la juger avec justice et en connaissance de cause. De nos jours encore, elle ne fait pas l’unanimité : les tenants de Mme de Montespan la taxent d’ambition et d’hypocrisie, d’autres saluent son courage et sa vertu…  

   « Je vous envoie le mémoire de mes aumônes réglées afin que vous jugiez si elles sont bien appliquées. J’ai fait Mlle de Montchevreuil religieuse et j’en ai encore une dont je paye la pension ; son père va se rétablir mais il ne l’es pas encore. Outre ce que j’écris, j’en fais quelques autres dans les occasions : voilà ce qui concerne les aumônes.

   Quant à mes habillements, je vais les changer [elle venait d’être nommée dame d’atours de la dauphine] et les prendre pareils à ceux de Mme de Richelieu. J’ai une indifférence là-dessus qui m’ôte tout scrupule ; j’ai été vêtue d’or quand j’ai passé mes journées avec le roi, je vais être à une princesse, je serai toujours en robe noire ; si j’étais hors de la cour, je serais en tourière, et tous ces changements ne me font nulle peine. Du reste, je fais trop de dépenses parce que je suis naturellement propre et peu porte à l‘avarice.

   Mes journées sont présentement assez réglées et fort solitaires : je prie Dieu un moment en me levant ; je vais à deux messes les jours d’obligation et à une les jours ouvriers ; je dis mon office tous les jours et quand je m’éveille la nuit, je dis un Laudate ou un Gloria Patri. Je pense souvent à Fieu dans la journée, je lui offre mes actions ; je le prie de m’ôter d’ici, si je n’y fais mon salut, et du reste je ne connais point mes péchés. J’ai une morale et de bonnes inclinations qui font que je ne fais guère de mal ; j’ai un désir de plaire et d’être estimée qui me met sur mes gardes contre toutes mes passions ; ainsi ce ne sont presque jamais des faits que je puis me reprocher, mais des motifs très humains, une grande liberté dans mes pensées et dans mes jugements, et une contrainte dans mes paroles qui n’est fondée que sur la prudence humaine. Voilà à peu près mon état : ordonnez le remède que vous croirez le plus propre. Je ne puis vraisemblablement envisager une retraite : il faut travailler ici à mon salut ; contribuez-y, je vous en supplie, autant que vous le pourrez, et comme c’est le plus essentiel de tous les services, comptez aussi sur la plus entière reconnaissance. »

Lettre de Mme de Maintenon à son confesseur, l'abbé Gobelin

   La cour de Louis XIV vieillit et Mme de Maintenon aspire à la dévotion. Elle se trouve mécontente de son directeur de conscience, l’abbé Gobelin, et lui écrit la lettre suivante (extrait de sa Correspondance) :

   « ... Je vous conjure de vous défaire d’un style que vous avez avec moi, qui ne m’est point agréable et qui peut m’être nuisible. Je ne suis point plus grande dame (1) que j’étais à la rue des Tournelles, que vous me disiez fort bien mes vérités ; et, si la faveur où je suis met tout le monde à mes pieds, elle ne doit pas faire cet effet-là sur un homme chargé de ma conscience et à qui je demande instamment de me conduire, sans aucun égard, dans le chemin qu’il croit le plus sûr pour mon salut. Où trouverai-je la vérité si je ne la trouve en vous, et à qui puis-je être soumise qu’à vous, ne voyant dans tout ce qui m’approche que respect, adulation et complaisance ? Parlez-moi, écrivez-moi, sans tour, sans cérémonie, sans insinuation, et surtout, je vous prie, sans respect. Ne craignez jamais de m’importuner : je veux faire mon salut, je vous en charge, et je reconnais que personne au monde n’a tant besoin d’aide que moi. Enfin, regardez-moi comme dépouillée de tout ce qui m’environne et voulant me donner à Dieu... »

   Mme de Maintenon se tournera alors vers Fénelon et le quiétisme.

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Notes

(1) On la sait, sinon épouse, du moins favorite du roi.  

Mme de Maintenon et le quiétisme

   FénelonFénelon ose dire à Mme de Maintenon en 1692 : « Vous n’aurez jamais tant de liberté, d’autorité et d’efficacité dans vos paroles que lorsque vous serez bien humiliée et bien petite par le renoncement à toute votre sensibilité. »

   La rencontre entre Mme de Maintenon et Fénelon a lieu durant l’hiver 1687-88 chez le duc de Beauvillier, père de neuf filles, qui lui avait demandé un Traité sur l’éducation des filles (livré en 1687).

Mme de Maintenon est séduite par cet « homme insinuant et enchanteur » selon Saint-Simon et possédant comme son héros Ulysse dans Télémaque « une parole douce, simple, insinuante, qui persuadait sans qu’on eût le temps de s’en défier. » 

   Mme Guyon fait paraître Le Moyen court et très facile de faire oraison (1684) après Les Torrents, poème sur le pur amour, puis Le Commentaire du cantique des Cantiques en 1688.  Ses ouvrages prônent mysticisme, passivité et renoncement qui s’opposent à l’aridité de la prière. Mme de Maintenon, à la recherche de Dieu, fait sa connaissance au cours d’un de ces dîners décrits par Saint-Simon « qui se passent si bien, la clochette sur la table […] où les uns et les autres tombent dans les filets de cette femme qui sait séduire. » (Mémoires)

   Fin septembre 1689, elle l’invite à Saint-Cyr où le torrent quiétiste s’engouffre aisément parmi ces demoiselles. 

   Le quiétisme, proche du piétisme allemand, est considéré comme une sédition dans l’Église, Bossuet s’en mêle, le roi est furieux et Mme de Maintenon s’affole et prend ses distances. Fénelon est condamné en mars 1699. 

   La Palatine remarque dans une lettre du 31 décembre 1698 : « La Pantecrate [1] n’est pas aussi constante pour les amis qu’elle a faits dans la dévotion que pour ceux qu’elle a eus au Marais. »

   Le 18 septembre 1699, elle écrit : « La Pantecrate a un grand pouvoir, toutefois il paraît qu’elle n’est pas la femme la plus heureuse du monde car elle pleure souvent et parle souvent de la mort. Je crois pourtant ce qu’elle n’en fait n’est que pour voir ce qu’on en dira. »

   Voire…  Mme de Maintenon, si adroite et prudente d’habitude, vient de commettre une erreur grossière, ce qui ne lui ressemble guère. Pour une fois, elle semble s’être laissé aller à sa spontanéité et à son naturel. Car il est vrai qu’elle avoue (à son confesseur entre autres) qu’elle a du mal à prier et se désespère de son cœur sec… L’oraison quiétiste, l’acceptation de Dieu en soi qui coule comme une source semblaient lui convenir. Hélas ! Il faut reprendre le fardeau de la « vraie (?) religion »…

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Notes    

[1] L’un des nombreux surnoms dont la Palatine affuble Mme de Maintenon.

Lettre de Fénelon à Mme de Maintenon sur ses défauts

   Dans la Correspondance de Mme de Maintenon, on peut lire la lettre de Fénelon sur ses défauts. Attirée par la foi neuve qu’il lui propose (le quiétisme, qui sera taxé d’hérésie), elle s’entretient longuement avec lui. Voici donc ce qu’il pense d’elle :

   « ... Vous êtes née avec beaucoup de gloire [fierté], c’est-à-dire de cette gloire qu’on nomme bonne, mais qui est d’autant plus mauvaise qu’on n’a point de honte à la trouver bonne : on se corrigerait plus aisément d’une vanité sotte. Vous tenez encore beaucoup à cette gloire, sans que vous l’aperceviez : vous tenez à l’estime des honnêtes gens, à l’approbation des gens de bien, au plaisir de soutenir votre prospérité avec modération, enfin à celui de paraître, par votre cœur, au-dessus de votre place. Le « moi », dont je vous ai parlé si souvent, est une idole que vous n’avez pas brisée. Vous voulez aller à Dieu de tout votre cœur, mais non par la perte du « moi » ; au contraire, vous cherchez le « moi » en Dieu ; le goût sensible de la prière et de la présence de Dieu vous soutient, mais, si ce goût venait à vous manquer, l’attachement que vous avez à vous-même et au témoignage de votre propre vertu vous jetterait dans une dangereuse épreuve. [...]  

   Il faut sacrifier à Dieu le « moi », qu’on ne le recherche plus ni pour la réputation, ni pour la consolation du témoignage qu’on se rend à soi-même sur ses bonnes qualités. Il faut mourir à tout sans réserve et ne posséder pas même sa vertu par rapport à soi. [...]

   Vous êtes naturellement bonne et disposée à la confiance. Mais quand vous commencez à vous défier, je m’imagine que votre cœur se serre trop. Il y a un milieu entre l’excessive confiance qui se livre, et la défiance qui ne sait plus à quoi s’en tenir lorsqu’elle sent que ce qu’elle croyait tenir lui échappe. [...]

   On croit, dans le monde, que vous aimez le bien sincèrement ; on dit pourtant encore que vous êtes sévère, qu’il n’est pas permis d’avoir des défauts avec vous, et qu’étant dure avec vous-même, vous l’êtes aussi aux autres ; que, quand vous commencez à trouver quelques faibles dans les gens que vous avez espéré de trouver parfaits, vous vous en dégoûtez trop vite et que vous poussez trop loin le dégoût. Quand vous êtres sèche, en effet, vote sécheresse va assez loin. Tomber dans une défiance universelle serait un très grand mal. Plus vous mourrez à vous-même par l’abandon total à l’esprit de Dieu, plus votre cœur s’élargira pour supporter les défauts d’autrui et y compatir sans bornes. Vous ne verrez partout que misère car vos yeux seront plus perçants, mais rien ne pourra ni vous scandaliser, ni vous surprendre, ni vous resserrer. [...]

   Il me paraît encore que vous avez un goût trop naturel pour l’amitié, pour la bonté du cœur, et pour tout ce qui lie la bonne société. C’est sans doute ce qu’il y a de meilleur selon la raison et la vertu humaine ; mais c’est pour cela même qu’il faut y renoncer. Toutes les tendresses naturelles ne sont qu’un amour-propre plus raffiné, plus séduisant, plus flatteur, plus aimable et, par conséquent, plus diabolique. Si vous ne teniez plus à vous, vous ne seriez non plus dans le désir de voir vos amis attachés à vous que de les voir attachés au roi de la Chine. En un mot, Madame, le défaut de vouloir de l’amitié n’est pas moindre devant Dieu que celui de manquer d’amitié. Le vrai amour de Dieu aime généreusement le prochain, sans espérance d’aucun retour. Enfin, il faut être prêt à se voir méprisé, haï, décrié, condamné par autrui, et à ne trouver en soi que trouble et condamnation. Cette parole est dure à quiconque veut jouir pour soi-même de sa vertu mais elle est douce et consolante pour une âme qui aime assez Dieu pour se renoncer à elle-même. »  

Les fausses dévotes (La Bruyère)

Mme de Maintenon en Sainte Françoise   La dévotion était de mise depuis que Mme de Maintenon (ci-contre en Sainte Françoise) avait pris un ascendant considérable sur Louis XIV. La Bruyère attaqua les faut dévots au chapitre De la Mode (cf. Onuphre) des Caractères et, au chapitre des Femmes, les fausses dévotes :

    « La dévotion vient à quelques-uns, et surtout aux femmes, comme une passion [1], ou comme le faible d’un certain âge, ou comme une mode qu’il faut suivre. Elles comptaient autrefois une semaine par les jours de jeu, de spectacle, de concert, de mascarade ou d’un joli sermon ; elles allaient le lundi perdre leur argent chez Ismène, le mardi leur temps chez Climène, et me mercredi leur réputation chez Célimène ; elles savaient dès la veille toute la joie qu’elles devaient avoir le jour d’après et le lendemain ; elles jouissaient tout à la fois du plaisir présent et de celui qui ne leur pouvait manquer ; elles auraient souhaité de les pouvoir rassembler tous en un seul jour : c’était alors leur unique inquiétude et leur tout le sujet de leurs distractions ; et si elles se trouvaient quelquefois à l’Opéra, elles y regrettaient la comédie. Autres temps, autres mœurs : elles outrent l’austérité et la retraite ; elles n’ouvrent plus leurs sens à aucun usage ; et, chose incroyable ! elles parlent peu ; elles pensent encore, et assez bien d’elles-mêmes, comme assez mal des autres ; il y a chez elles une émulation de vertu et de réforme qui tient quelque chose de la jalousie ; elles ne haïssent pas de primer dans ce nouveau genre de vie, comme elles faisaient dans celui qu’elles viennent de quitter par politique ou par dégoût. Elles se perdaient gaiement par la galanterie, par la bonne chère et par l’oisiveté ; et elles se perdent tristement par la présomption et par l’envie. »

   On ne sait si Mme de Maintenon se sentit concernée par ce portrait...

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Notes

[1] Cf. Saint-Évremond : « Les dames galantes sui se donnent à Dieu lui donnent ordinairement une âme intuitive qui cherche de l’occupation ; et leur dévotion se peut nommer une passion nouvelle, où un cœur tendre, qui croit être repentant, ne fait que changer d’objet à son amour. »

Mme de Maintenon : lettre à Mme de Glapion du 9 novembre 1702

   Éducatrice à Saint-Cyr, douée et brillante, à la fois ardente, mélancolique et rêveuse, Mme de Glapion se soumit à la discipline de fer de Mme de Maintenon. Pacifiée sans doute mais brisée, elle lui succéda à la direction de Saint-Cyr.

   Voici une lettre de Mme de Maintenon du 9 novembre 1702 :

« Il ne vous est pas mauvais de vous trouver dans le trouble et dans l’inquiétude des petits esprits embrouillés ; vous en serez plus humble et vous sentirez par votre expérience que nous ne trouvons nulle ressource en nous, quelque esprit que nous ayons. Vous ne serez jamais contente, ma chère fille, que lorsque vous aimerez Dieu de tout votre cœur ; je ne vous dis pas ceci par rapport à la profession où vous vous êtes engagée ; Salomon vous a dit, il y a longtemps, qu’après avoir cherché, trouvé et goûté de tous les plaisirs, il confessait que tout n’est que vanité et affliction d’esprit, hors aimer Dieu et le servir. Que ne puis-je vous donner mon expérience ! que ne puis-je vous faire voir l’ennui qui dévore les grands et la peine qu’ils ont à remplir leurs journées ! Ne voyez-vous pas que je meurs de tristesse dans une fortune qu’on aurait peine à imaginer et qu’il ‘y a que le secours de Dieu qui m’empêche d’y succomber ? J’ai été jeune et jolie ; j’ai goûté des plaisirs ; j’ai été aimée partout ; dans un âge un peu plus avancé, j’ai passé des années dans le commerce de l’esprit ; je suis venue à la faveur, et je vous proteste, ma chère fille, que tous ces états laissent un vide affreux, une inquiétude, une lassitude, une envie de connaître autre chose parce qu’en tout cela rien ne satisfait entièrement. On n’est en repos que lorsqu’on s’est donné à Dieu, mais avec cette volonté déterminée dont je vous parle quelquefois ; alors on sent qu’il n’y a plus rien à chercher, qu’on est arrivé à ce qui seul est bon sur la terre ; on a des chagrins mais on a une solide consolation et une paix au fond du cœur au milieu des plus grandes peines. Mais vous me direz : Se peut-on faire dévote quand on veut ? Oui, ma chère fille, on le peut et il ne nous est pas permis de croire que Dieu nous manque. « Cherchez et vous trouverez ; heurtez à la porte et on vous l’ouvrira. » Ce sont ses paroles ; mais il le faut chercher avec humilité et simplicité. Saint Paul pouvait bien en savoir plus qu’Ananias ; il va pourtant le trouver et apprend par lui ce qu’il faut qu’il fasse. Vous ne le saurez jamais par vous-même, il faut vous humilier. Vous avez un reste d’orgueil que vous déguisez à vous-même sous le goût d l’esprit. Vous n’en devez plus avoir, mais vous devez encore moins chercher à la satisfaire avec un confesser ; le plus simple est le meilleur pour vous et vous devez vous y soumettre en enfant. Comment surmonterez-vos les croix que Dieu vous enverra dans le cours de votre vie si un accent normand o picard vous arrête et si vous vous dégoûtez d’un homme parce qu’il n’est pas si sublime que Racine ? Il vous aurait édifiée, le pauvre homme, si vous aviez vu son humilité dans sa maladie et son repentir sur cette recherche de l’esprit. Il ne chercha point dans ce temps-là un directeur [de conscience] à la mode. Il ne vit qu’un bon prêtre de sa paroisse. J’ai vu mourir un autre bel esprit qui avait fait les plus beaux ouvrages que l’on puisse faire et qui n’avait pas voulu les faire imprimer, ne voulant pas être sur le pied d’auteur ; il brûla tout et il n’est resté de lui que quelques fragments dans ma mémoire. Ne nous occupons point de ce qu’il faudra tôt ou tard abjurer. Vous n’avez encore guère vécu et vous avez pourtant à renoncer à la tendresse de votre cœur et à la délicatesse de votre esprit. Allez à Dieu, ma chère fille, et tout vous sera donné. Adressez-vous à moi tant que vous voudrez ; je voudrais bien vous mener à Dieu ; je contribuerais à sa gloire ; je ferai le bonheur d’une personne que j’ai toujours aimée particulièrement et je rendrais grand service à un institut qui ne m’est pas indifférent. »

Les pardoxes de Mme de Maintenon

   Lorsque son triomphe [elle devint la maîtresse du roi] éclata au grand jour, elle partageait encore à Saint-Germain l'appartement de Mme de Montespan. Mme de Sévigné écrivit : « Tout est soumis à son empire, toutes les femmes de chambre de sa voisine [la Montespan] sont à elles, l'une lui tend le pot de pâte, à genoux devant elle, l'autre lui apporte ses gants, l'autre l'endort, elle ne salue personne et je crois que dans son cœur elle se rit bien de cette servitude. »

   À Versailles, le roi la poursuivit de ses assiduités jusque fort avant dans la vieillesse. Comme le dit crûment la princesse Palatine, qui la détestait et la traitait de « vieille ripopée », de « guenipe » ou encore de « pantocrate », « il couche avec sa vieille tous les après-midis. » Mme de Maintenon évoquait, quant à elle, les « occasions pénibles ». La Palatine l'accusait de tous les maux : « On [Mme de Maintenon évidemment !] a tellement détourné notre roi de toute grandeur qu'il n'y pense même plus. » Et ailleurs : « La pantocrate a un grand pouvoir. Toutefois, il paraît qu'elle n'est pas la femme la plus heureuse du monde car elle pleure souvent à chaudes larmes et parle à chaque instant de la mort [...]. Je crois pourtant que ce qu'elle en fait n'est que pour voir ce qu'on en dira. »       

Mme de Maintenon et la mode

   La voilà donc devenue dévote. Elle critiquait ainsi la nouvelle mode : « Comptez pour rien ces habillements immodestes que les femmes ont toutes à présent, cette gorge découverte, ces déshabillés dès qu'elles sont chez elles et qui les laissent presque nues, cette mollesse qui les tient couchées dans des chaises ou sur des lits tout le jour, cette recherche de plaisir dans le goût pour tout ce qu'elles prennent l'après-midi : thé, café, liqueur, vins, eaux distillées, jeux continuels qui ruinent leur famille. »

   Voici comment elle voyait l'élégance pour une fille de Saint-Cyr : « Un bonnet simple et bien fait, une simple petite touffe de cheveux sans frisures vous sied beaucoup mieux que de vous voir avec un bonnet rehaussé d'épingles qui n'accompagne pas le visage et une fafée (?) de cheveux qui vous donne un air rude et sauvage. »

   Et, dans une lettre à Mme des Ursins : « Je vous avoue, Madame, que les femmes de ce temps-ci me sont insupportables : leur habillement insensé et immodeste, leur tabac, leur vin, leur gourmandise, leur grossièreté, leur paresse, tout cela est si opposé à mon goût et, ce me semble, à la raison, que je ne puis le souffrir. J'aime les femmes modestes, sobres, gaies, capables de sérieux et de badinage, polies, railleuses, d'une raillerie qui enferme une louange, dont le cou sent bon et la conversation éveille. »

   Notons que les vêtements de Mme Scarron sont d'une élégance de bon aloi, même à l'époque de la veuve Scarron.  

   Amie de Mmes de Montespan, de Motteville, de Montausier et de Montchevreuil, elle obtient d’Anne d’Autriche, en 1661, une pension de 2 000 livres. Mlle d’Aumale [1] rapporte : « Ses habits n’étaient que d’étamine du Lude, fort à la mode dans ce temps-là pour une personne de médiocre fortune. Elle n’avait que du linge uni, était fort bien chaussée, avait de fort belles jupes. Elle trouvait le moyen sur ces 2 000 livres de s’entretenir ainsi, de payer sa pension, celle de sa femme de chambre [2] et ses gages et elle ne brûlait que des bougies. Avec cela, elle avait souvent de l’argent de reste au bout de l’année. » Élégante certes, mais économe.

   A l’été 1666, en compagnie de Mme de Montespan, elle va à Saint-Germain remercier Louis XIV de cette pension qu’il lui maintient, la reine-mère Anne d’Autriche venant de mourir. Voltaire fait dire au roi : « Madame, je vous ai fait attendre longtemps mais vous avez tant d’amis que j’ai voulu avoir seul ce mérite auprès de vous. »

   En 1668, l’abbé Gobelin, son confesseur et directeur de conscience, la trouve trop bien habillée : « Je vois tomber avec vous, quand vous vous mettez à genoux, une quantité d’étoffe qui a si bonne grâce que je trouve que cela a quelque chose de trop bien. » Elle l’écoute et réduit l’ampleur de ses jupes.

   Mais elle restera toujours coquette. Après la première « chute » dans les bras du roi (vraisemblablement en juillet 1679), elle demande à son frère de lui trouver des habits « de damas bleu fort et beau et des dentelles », sans doute pour être à la hauteur de sa nouvelle position…  

Mme de Maintenon à Saint-Cyr   Dans l’ensemble, elle est toujours habillée de couleurs vives et de dentelles, du moins jusqu’à son accession au rang de dame d’atour de la dauphine ; la fonction l’oblige à revêtir du noir qu’elle portera donc une petite dizaine d’années, jusqu’à la mort de la dauphine en 1690. Puis, elle s'habillera de noir à Saint-Cyr, mais un noir somptueux, brodé d’or ou d’argent (voir le tableau ci-contre).

   Vers 65 ans, pour redonner un peu de gaieté à la cour et au roi, elle porte des robes bleu turquoise, violettes, parme, nacarat. En 1706, au beau milieu de la Guerre de Succession d’Espagne, elle écrit : « La bataille gagnée en Italie me détermine à mettre ma robe. Je m’habillerai de vert si on prend Barcelone et de couleur rose si l‘archiduc tombe entre nos mains. »

   Lorsqu’elle se retire à Saint-Cyr, elle opère de sérieux retranchements, fait découdre les galons d’or ou d’argent de ses robes noires mais… commande à Mme de Caylus, sa nièce, des chemises dont elle se scandalise car elles sont sans dentelles. 

   Mme de Maintenon, ou l‘éternel paradoxe…

Sources : Mme de Maintenon, Jean-Paul Desprat, Perrin, 2003.

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Date de dernière mise à jour : 23/09/2017