« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Louise Moillon, artiste peintre

   Si le 16e siècle fut le siècle des femmes peintres, surtout en Italie[1](Arthemisia Gentileschi, Rosalba Carriera, Giovanna Fratellini, Theodora Danti – élève du Perugin -, la Tintoretta – fille du Tintoret -, Lavinia Fontana – nommée peintre du pape Grégoire XIII -), le 17e siècle n’en est pas tout à fait dépourvu.

   En 1663, Catherine Duchemin, épouse du sculpteur Girardon, fut la première femme reçue à l’Académie de Paris, suivie en 1669 par les deux sœurs Geneviève et Madeleine Boullongue qui se spécialisèrent dans la peinture de fleurs et de fruits.

   On peut s’attarder sur Louise (ou Loyse) Moillon, de confession protestante, née à Paris en 1610 et fille du peintre-marchand Nicolas Moillon (corporation regroupée sur le vieux pont Notre-Dame) qui peignait paysages ou portraits « à la commande », autrement dit à la chaîne (on pense à Gersaint, immortalisé un siècle plus tard par Watteau). À huit ou neuf ans, Louise commença à peindre des natures mortes. À dix ans, son père mourut, sa mère se remaria avec François Garnier, autre peintre-marchand. Commerçant avisé, il s’aperçut des dons de la fillette et rédigea un contrat stipulant que « le produit de la vente [des oeuvres de Louise], après déduction des frais, sera partagé entre l’auteur et son beau-père. »

Nature morte aux fruits et asperges (Louise Moillon, 1630)

   Louise se maria assez vite avec un riche bourgeois, Etienne Girardot de Chancourt mais n’en oublia pas pour autant ses pinceaux : elle possédait déjà une belle clientèle et les commandes affluaient. Lasse de peindre des corbeilles de fruits (ci-dessus), elle se mit au portrait et connut un franc succès. C'est le fameux tableau Marchande de fruits et de légumes.

   Claude Bullion lui commanda pour son château une toile de 116 x 175, représentant une jolie dame. Mais quel ennui ! Un édit somptuaire du roi venait d’interdire aux femmes de porter des dentelles. Elle se débrouilla, remplaça la dentelle par un col et des poignets de simple lingerie unie, ajouta un rang de pierres au cou et lui donna une attitude pleine de noblesse : elle tend un verre à un page qui lui verse à boire.

   Louise mourut à quatre-vingt-six ans. Le Louvre la désigne comme « petit-maître français du 17e siècle. »

Sources : Les Pionnières de l'Histoire, Claude Pasteur, Albin Michel, 1963. 

Analyse du tableau Marchande de fruits et légumes (Louise Moillon, 1630)

Marchande de fruits et legumes (Louise Moillon, 1630)

     Louise Moillon est de confession protestante, ce qui peut expliquer l’implicite de cette scène de genre.

   * Arrière-boutique.

   * Un chat repu dort dans une assiette contenant des restes => idée de gourmandise (péché) mais cachée (le chat est peu éclairé).

   * Échange entre la marchande et une dame de la haute société qui vient faire ses courses elle-même, ce qui témoigne d’un grand sens de l’économie mais aussi d’une recherche de ce qui est bon. Sa tenue est austère. La servante qui portera le panier au premier plan à gauche est restée dans la boutique. L’attitude de la cliente, en pleine lumière, contredit la gloutonnerie du chat : elle soupèse une pomme gâtée qui provient du panier de pommes au centre de la composition et découvre la corbeille d’abricots que tient la marchande. Celle-ci ne la regarde pas en face, on soupçonne la malhonnêteté. Mais l’acheteuse se méfie et choisit ses fruits. Elle fait partie du monde des « gourmets » et non pas des « gourmands ». Au siècle suivant, le chevalier de Jaucourt rédigera l’article « Gourmandise » pour l’Encyclopédie, dont il donnera la définition suivante : « Un amour raffiné et désordonné de la bonne chère ».

   * Le 17e siècle (à partir de Louis XIII) voit donc la naissance du goût, voire du bon goût, aussi bien en littérature que dans la vie quotidienne : les personnes bien nées et éduquées savent paraître (la tenue), calculer leurs gestes (vérification), respecter les bienséances (visage serein) et maîtriser leurs pulsions (chat glouton).

Sources : Gourmandise, histoire d'un péché capital, Florent Quellier, Armand Colin, 2010. 

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[1] Mais pas seulement. Citons aussi Katharina Van Hemessen, Irena de Spimbérès et, en France, Suzanne Courtois (peinture sur émail) et Laurence Fauconnier (peinture sur verre).

Date de dernière mise à jour : 15/09/2019