« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Présidente Ferrand

Lettres d'amour méconnues de la Présidente Ferrand au baron de Breteuil

Lettres de la Présidente Ferrand   Dans La Crise de la conscience européenne, 1680-1715 (1961), Paul Hazard évoque la Présidente Ferrand et ses amours malheureuses pour le baron de Breteuil dans le chapitre « Les valeurs imaginatives et sensibles » (Quatrième partie, sous-chapitre : « Le rire et les larmes ») :

   « ... Voici la riche maison bourgeoise où une faible femme écrit des lettres d’amour, en pleurant. Jeune, elle s’était éprise du baron de Breteuil, qui lui avait semblé le plus beau du monde, et désespérée d’apprendre qu’il n’était pas libre, elle s’était sauvée un jour de la maison paternelle, était partie vers le cloître ; on l’avait rattrapée en chemin, et pour la rendre sage, on l’avait mariée, malgré elle : Anne de Bellinzani était devenue la présidente Ferrand. Or la présidente avait revu le baron ; elle l’avait aimé avec transport, avec fureur. D’où ces lettres, qui sont parmi les plus belles qu’ait jamais écrites la plume d’une amante, et toutes pleines d’émoi : joie d’un amour que le monde ignore, bien d’autant plus précieux qu’il demeure secret ; mélancolie qui provient de ce que ce même amour ne peut s’épanouir, libre et glorieux ; colère devant les obstacles qui peu à peu s’accumulent ; accents de tendresse quasi maternelles, et cris passionnés ; dégoût, à l’idée d’aller retrouver, en quittant son amant, un mari, que sa chair abhorre ; perspicacité du sentiment, « oui, mon cher, vous m’aimez et je vous adore... » ; mésestime, qui ne suffit pas à abolir l’amour : « J’ai perdu les bonnes grâces de ma famille, et je me suis fait un enfer de mon domestique pour un amant qui ne mérite que ma haine. Mais Dieu ! c’est le comble de ma misère ; je ne puis le haïr, je le méprise, je l’abhorre, mais je sens que je ne le hais pas... » Cette amante-née possède quelques-uns des traits qui feront l’orgueil des héroïnes romantiques, cent quarante ans plus tard. Elle estime que la joie dissipe trop, et que la mélancolie rend l’amour plus sensible ; elle est la plus malheureuse femme qui ait jamais aimé ; elle est marquée par la fatalité : l’amour, dès son enfance, l’avait regardée comme une victime destinée à ses tourments. Elle verse des torrents de larmes[1]. – Déjà ! »

   En ce siècle qui se veut raisonnable et cartésien, l’émotion ne perd pas ses droits.

Lettres sur Gallica ici 

 


[1] Histoire nouvelle des amours de la jeune Bélise et de Cléante, 1689. – Lettres de la Présidente Ferrand au baron de Breteuil, éd. Eugène Asse, 1880.

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