« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Stances de Clarice, Corneille, La Veuve

   La Veuve date de 1631 et donc du début de la carrière de Corneille qui s’attache d’abord à la comédie. Il s’agit d’une comédie d’intrigue (cf. Les Fausses Lettres, La Galerie du Palais, La Suivante) : divers obstacles, en particulier les ruses que trament les jaloux, séparent un moment les amoureux, puis tout rentre dans l’ordre à la fin du cinquième acte. Ici, Corneille innove en introduisant des stances : celles de Philiste (II, 1) annoncent celles de Rodrigue (Le Cid) et celles de Clarice sont emplies d’une certaine grâce précieuse.

   Une toute jeune veuve, Clarice, est éprise d’un charmant jeune homme, Philiste, qui l’aime aussi. Mais elle est riche et lui pauvre. Toutefois, elle l’encourage et il lui avoue son amour. Clarice déborde alors de joie. Suit alors une scène tout ce qu’il y a de romanesque : une jeune femme, seule dans un jardin clame son amour et son allégresse à ses « chers confidents » les arbres et les fleurs, à la tombée de la nuit, l’heure où les cœurs s’épanchent...

Stances de Clarice

Chers confidents de mes désirs,

Beaux lieux, secrets témoins de mon inquiétude,

Ce n’est plus avec des soupirs

Que je viens abuser de votre solitude ;

Mes tourments sont passés,

Mes vœux sont exaucés,

La joie aux maux succède :

Mon sort en ma faveur change sa dure loi,

Et pour dire en un mot le bien que je possède,

Mon Philiste est à moi.

*

En vain nos inégalités

M’avaient avantagée à mon désavantage.

L’amour confond nos qualités[1],

Et nous réduit tous deux sous un même esclavage.

L’aveugle outrecuidé[2]

Se croirait mal guidé

Par l’aveugle fortune ;

Et son aveuglement par miracle fait voir

Que quand il nous saisit, l’autre nous importune,

Et n’a plus de pouvoir.

*

Cher Philiste, à présente tes yeux

Que j’entendais[3] si bien sans le vouloir entendre,

Et tes propos mystérieux

Par leurs rusés détours n’ont plus rien à m’apprendre.

Notre libre entretien

Ne dissimule rien ;

Et ces respects farouches

N’exerçant plus sur nous de secrètes rigueurs,

L’amour est maintenant le maître de nos bouches

Ainsi que de nos cœurs.

*

Qu’il fait bon avoir enduré !

Que le plaisir se goûte au sortir des supplices !

Et qu’après avoir tant duré,

La peine qui n’est plus augmente nos délices !

Qu’un si doux souvenir

M’apprête à l’avenir

D’amoureuses tendresses !

Que mes malheurs finis[4] auront de volupté !

Et que j’estmerai chèrement cescaresses

Qui m’auront tant co^té !

*

Mon heur me semble sans pareil ;

Depuis qu’en liberté mon amour m’en assure,

Je ne crois pas que le soleil...

(La Veuve, III, 8)

   Clarice est alors brusquement interrompue par deux jeunes gens qui viennent l’enlever. Mais tout s’arrangera et elle épousera Philiste.

 

 

 

[1] Au sens social du terme. Cf. Une personne de qualité : d’un rang social élevé.

[2] L’amour ; outrecuidé = outrecuidant, présomptueux.

[3] Comprenais

[4] Latinisme : que la fin de mes malheurs me causera de plaisir !

* * *