« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Phèdre au Bac 2015

Notes abusives dans un texte proposé à l'E.A.F. 2015 (Phèdre, Racine)

La mort d' Hippolyte (Phèdre)   Voici l’un des textes proposés à la sagacité des candidats lors de l’épreuve de Français au Bac 2015, séries S et ES. Texte canonique s’il en est. Ce qui peut intriguer, ce sont les notes de bas de page. Les élèves sont-ils ignares à ce point ?

   * Ignorent-ils ce qu’est un « coursier », alors que le terme est explicité quelques vers plus bas par son synonyme « chevaux » ?  

   * Eut-on peur que les élèves confondent Hippolyte avec une abeille au dard venimeux ? Du reste, les abeilles lancent-elles leur dard ?

   * Fallait-il expliquer si techniquement le « frein » ?  Les élèves auraient-ils pu s’imaginer un « frein » de voiture dans la bouche d’un cheval ?  

   * Et enfin, bien entendu, l’orthographe du participe présent adjectivé « dégouttantes » pouvait accabler ces mêmes élèves qui, sans réfléchir, auraient compris « dégoûtantes ».

   À force de simplifier programmes et textes, à force de mâcher le travail aux élèves, à force d’abaisser les exigences (nous sommes ici en Première !), il ne faut pas s’étonner de la dégradation générale du niveau.   

   Voici donc le fameux texte annoté, précédé d'un court résumé, au cas où les élèves n'auraient jamais entendu parler de Phèdre en classe de Première ( ! ) et dont la dernière phrase explicite le contenu.  

Texte A : Racine, Phèdre, Acte V, scène 6, vers 1527-1561 (1677) 

   Phèdre, épouse de Thésée, éprouve une passion coupable pour son beau-fils, Hippolyte, fils de Thésée et de la reine des Amazones. Persuadée que son époux a trouvé la mort, elle déclare son amour à Hippolyte. Mais Thésée revient. Phèdre regrette d’avoir avoué sa passion. De crainte d’être trahie par Hippolyte, qui ne répond pas à son amour, elle l’accuse devant Thésée d’avoir voulu la séduire. Furieux, Thésée demande à Neptune d’anéantir son fils. Dans l’acte V, Théramène fait le récit de la mort d’Hippolyte, victime d’un monstre surgi des flots. 

THÉRAMÈNE

[…]

Hippolyte lui seul, digne fils d’un héros,

Arrête ses coursiers (1), saisit ses javelots,

Pousse au monstre, et d’un dard (2) lancé d’une main sûre,

Il lui fait dans le flanc une large blessure.

De rage et de douleur le monstre bondissant  

Vient aux pieds des chevaux tomber en mugissant,

Se roule, et leur présente une gueule enflammée,

Qui les couvre de feu, de sang et de fumée.

La frayeur les emporte ; et sourds à cette fois,

Ils ne connaissent plus ni le frein (3) ni la voix. 

En efforts impuissants leur maître se consume,

Ils rougissent le mors d’une sanglante écume.

On dit qu’on a vu même, en ce désordre affreux,

Un dieu qui d’aiguillons pressait leur flanc poudreux.

À travers des rochers la peur les précipite ;

L’essieu crie, et se rompt. L’intrépide Hippolyte

Voit voler en éclats tout son char fracassé ;

Dans les rênes lui-même il tombe embarrassé.

Excusez ma douleur. Cette image cruelle

Sera pour moi de pleurs une source éternelle.

J’ai vu, Seigneur, j’ai vu votre malheureux fils

Traîné par les chevaux que sa main a nourris.

Il veut les rappeler, et sa voix les effraie ; Ils courent.

Tout son corps n’est bientôt qu’une plaie.

De nos cris douloureux la plaine retentit.

Leur fougue impétueuse enfin se ralentit :

Ils s’arrêtent non loin de ces tombeaux antiques

Où des rois ses aïeux sont les froides reliques.

J’y cours en soupirant, et sa garde me suit.

De son généreux sang la trace nous conduit :

Les rochers en sont teints ; les ronces dégouttantes (4)

Portent de ses cheveux les dépouilles sanglantes.

J’arrive, je l’appelle ; et me tendant la main,

Il ouvre un œil mourant, qu’il referme soudain.

« Le Ciel, dit-il, m’arrache une innocente vie. […] »

_ _ _

Notes

1) Coursiers : chevaux.

2) Dard : lance.

3) Frein : partie métallique de la bride, placée dans la bouche du cheval pour le contenir, le diriger.

4) Les ronces dégouttantes : les ronces d’où tombent des gouttes de sang.  

* * *