« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Origine de la règle des trois unités.

  Hôtel de BourgogneLà comme ailleurs, la Renaissance s’était mise à l’école de l’Antiquité. Mais là encore, son imitation était demeurée servile, copiant de son mieux la forme extérieure et les procédés d’exécution, fort loin de l’action dramatique en elle-même. Chaque pièce, traduite et transposée, vidée de son intrigue, se présente comme une suite de motifs poétiques (odes, élégies, méditations, sentences morales) qui n’ont rien de commun avec le mécanisme psychologique de la tragédie au 17e siècle.

   C’est en province[1] surtout que ces pièces imitées de l’antique trouvaient leurs acteurs. À Paris, les confrères de la Passion, forts de leur privilège, continuaient à jouer uniquement des mystères. Un jour vint cependant, en 1599, où ils louèrent la salle de l’Hôtel de Bourgogne à des comédiens qui avaient à leurs gages le poète parisien Hardy.

   Hardy est l’auteur de six cents à sept cents pièces. Il ne modifia pas la présentation scénique et le principe de mise en scène demeura, c’est-à-dite le décor simultané (juxtaposition de tous les lieux nécessaires au développement successif de l’action). Mais il comprit que l’intérêt serait accru par une action animée et graduée, s’efforça de conduire une intrigue, de ménager les effets et de mettre en valeur les situations, infusant ainsi la vie au théâtre moderne qui vivotait.

   Il réussit à le tirer de son obscurité et du mépris où le tenaient les classes aristocratiques. Son succès détermina les poètes de la bonne société à porter aux comédiens des œuvres soigneusement écrites. La société le suivit, le cardinal de Richelieu se déclara amateur passionné du genre dramatique et les honnêtes femmes commencèrent à se risquer à la comédie, comme on disait.

   Mais la sécheresse d’imagination et le goût de la raison des spectateurs du temps ne se satisfaisaient pas de cette misérable scène de l’Hôtel de Bourgogne, à la maigre lueur des chandelles, et le contraste que l’on voulait évoquer et l’image qu’on en donnait était trop fort : on remarqua que la forêt était un arbre, la mer un bassin, on s’étonna que l’Allemagne et le Danemark ou même la place Royale et les Tuileries ne fussent séparées que par quelques toises, et qu'en une heure le héros eût vieilli de trente ans. Cela ne parut ni raisonnable, ni croyable et il parut nécessaire de remédier à ces invraisemblances, vestiges de la naïveté du Moyen Age. Pourquoi ne pas rapprocher le plus possible la durée de l’action fictive de la durée réelle du spectacle ? Pourquoi ne pas maintenir l’action dans un seul lieu, qui n’exigerait plus qu’un décor unique ? Ainsi la convention serait réduite au minimum : il suffirait de supposer que le plancher de la scène est un lieu quelconque du monde, qui ne changera plus, et que les deux heures de spectacle peuvent contenir les événements d’une journée. Toutefois, l’idéal où l’on tend, c’est de réduire véritablement la durée de l’action à la durée de la représentation (cf. Cinna).  

   De leur côté, les écrivains, obéissant au rationalisme instinctif qui entraîne toute cette époque, inclinent à rejeter l’exubérance et le romanesque et à concentrer l’action autour de la crise morale. Exigences de la société mondaine et tendances des auteurs s’accordent. Les fameuses règles des trois unités renouvelées d’Aristote, « Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli »[2] donnent ainsi la formule du goût général.

   Il est essentiel de le noter. Elles sont apparues non point comme fondées sur l’autorité, mais sur la raison, posant les conditions nécessaires à la vraisemblance. Ce n’est qu’à l’époque de la décadence du théâtre classique qu’elles ont pris, par une méconnaissance complète de leur origine, la figure d’un théâtre rigide institué par l’arbitraire pour paralyser peut-être le génie...

   Celui qui les introduisit fut Mairet dans sa pièce La Silvanire, (1630). Mais les œuvres qui les consacrèrent et qui fixèrent ainsi la notion de la tragédie classique, furent Le Cid, encore imparfaitement et surtout Horace et Cinna (Corneille). 

 

[1] Exception faite des farces provinciales. On peut lire à ce sujet le remarquable ouvrage édité sous la direction de Bénédicte Louvat, Le Théâtre à Béziers (Garnier, 2019).

[2] Boileau, Art Poétique, III, 45.

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