« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Célimène et Le Misanthrope

Résumé du Misanthrope (1666)

   Alceste déteste les hypocrisies mondaines : il défend, contre son ami Philinte la franchise, dût-elle blesser les gens. Or il est amoureux d’une jeune veuve, Célimène, malgré son humeur coquette et son esprit médisant. Raisonnablement, il aurait mieux valu aimer la cousine de Célimène, la sincère Éliante, qui éprouve un certain penchant pour lui. Mais la raison ne règle point le cœur. La pièce tout entière tient dans cette alternative douloureuse qui déchire le cœur d’Alceste : tolérer les médisances et les coquetteries de Célimène, ce qu’il ne peut faire, ou les lui reprocher, ce qui l’expose à perdre. Car Célimène est courtisée par de jeunes marquis, Oronte, Acaste, Clitandre, qui applaudissent son humeur satirique. Brusquement, tous ses tournent contre Célimène : ils se sont communiqués les lettres qu’elle écrivait à chacun en particulier et sa duplicité éclate aux yeux de tous. Ils la quittent avec des mots cinglants. Un seul demeure, bien qu’il ait eu « son paquet » comme les autres : c’est Alceste prêt à pardonner parce qu’il aime vraiment. Il allait fuir le commerce des hommes que lui rendent désormais intolérable un procès perdu au déni de toute justice, d’abominable calomnies répandues sur son compte : que Célimène consente à le suivre dans son désert ! À ce mot de désert, la jolie mondaine frissonne : le mariage, soit, mais pas l’exil. Alceste indigné rompt avec elle et part. Éliante épouse Philinte.   L’action du Misanthrope, trop psychologique, déçut le grand public mais les connaisseurs l’apprécièrent. Fénelon et Rousseau ont taxée la pièce d’immoralité car elle leur paraissait rendre ridicule un homme vertueux. En réalité, nous rions non des principes d’Alceste, non de sa passion qui le rend sympathique, mais de l’obstination qu’il met à vouloir imposer les dits principes dans les milieux mondains où manifestement ils ne peuvent triompher.

Pourquoi Alceste aime-t-il Célimène ? (Molière, 1666, Le Misanthrope, Acte I, scène 1)

Celimène BNF   Philinte s’étonne du choix pour le moins curieux d’Alceste : pourquoi aimer la pire des femmes, la coquette, lui qui déteste le genre humain ? La sincérité d’Eliante et la sagesse d’Arsinoé ne seraient-elles pas préférables ? 

   Autre questionnement : Molière choisit de faire subir au Misanthrope l'épreuve de l'amour, et quel amour ! Pourquoi ? Expérience plus concluante et plus comique avec une telle partenaire ?   

Extrait

PHILINTE

« Mais cette rectitude

Que vous voulez en tout avec exactitude,

Cette pleine droiture où vous vous renfermez,

La trouvez-vous ici dans ce que vous aimez ?

Je m’étonne, pour moi, qu’étant, comme il me semble,

Vous et le genre humain si fort brouillés ensemble,

Malgré tout ce qui peut vous le rendre odieux,

Vous ayez pris chez lui ce qui charme vos yeux ;

Et ce qui me surprend encore davantage,

C’est cet étrange choix où votre cœur s’engage.

La sincère Eliante a du penchant pour vous,

La prude Arsinoé vous voit d‘un œil fort doux :

Cependant à leurs vœux votre âme se refuse,

Tandis qu’en ses liens Célimène l’amuse,

De qui l’humeur coquette et l’esprit médisant

Semble [1] si fort donner dans les mœurs d’à présent.

D’où vient que, leur portant une haine mortelle,

Vous pouvez bien souffrit ce qu’en tient cette belle ?

Ne sont-ce plus défauts dans un objet si doux ?

Ne les voyez-vous pas ? ou les excusez-vous ?

ALCESTE

Non, l’amour que je sens pour cette jeune veuve

Ne ferme point mes yeux aux défauts qu’on lui treuve,

Et je suis, quelque ardeur qu’elle m‘ait pu donner,

Le premier à les voir, comme à les condamner.

Mais, avec tout cela, quoi que je puisse faire,

J’ai beau voir ses défauts, et j’ai beau l’en blâmer,

En dépit qu’on en ait, elle se fait aimer ;

Sa grâce est la plus forte ; et sans doute ma flamme

De ces vices du temps pourra purger son âme. »

    Mais il ne parviendra pas à la corriger de sa coquetterie, de sa rouerie et de sa perfidie. Célimène est le type même de ces mondaines qui tiennent salon, confondant esprit et méchanceté, dont la scène 4 de l'acte II est un parfait exemple.

Remarque

   Cette scène (scène 1, Acte I) du Misanthrope est une scène d’exposition avec ses caractéristiques habituelles. Toutefois, au tout début, le spectateur entre dans une conversation déjà commencée entre deux amis, Philinte et Alceste ; il pressent la crise amicale, la prévenance et la courtoisie du premier, la brusquerie et la colère du second. L’explication de la querelle ne sera donnée qu’à la fin de la scène. Molière cherche avant tout à nous faire entrer dans la psychologie de ses personnages. On peut dire sans doute que cette mise en place de la comédie correspond au naturel de la vie elle-même.      

_ _ _

Notes

[1] Singulier possible au 17e siècle.

L'esprit de Célimène ou la scène des portraits (Molière, Le Misanthrope, Acte II, scène 4)

Celimène et ses admirateurs   Dans le salon de la spirituelle Célimène, les petits marquis encouragent de leur approbation admirative la verve malicieuse de Célimène qui, à chaque nom jeté dans la conversation (Cléonte, Timante, Géralde), trace un portrait pour le moins médisant. Alceste est présent mais se tait. Il laissera éclater son indignation plus tard. Les portaits sont alors fort à la mode.  

Extraits

Sur BÉLISE, la sotte

« Le pauvre esprit de femme, et le sec entretien !

Lorsqu’elle vient me voir, je souffre le martyre :

Il faut suer [1] sans cesse à chercher que lui dire,

Et la stérilité de son expression

Fait mourir [2] à tous coups la conversation.

En vain, pour attaquer son stupide silence,

De tous les lieux communs vous prenez l’assistance :

Le beau temps et la pluie, et le froid et le chaud

Sont de fonds qu’avec elle on épuise bientôt.

Cependant sa visite, assez [3] insupportable,

Traîne en longueur encore épouvantable ;

Et l’on demande l’heure, et l’on bâille vingt fois,

Qu’elle grouille [4] aussi peu qu’une pièce de bois. »

*

Sur CLÉONTE, le ridicule

« Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort,

Partout il porte un air qui saute aux yeux d’abord ;

Et lorsqu’on le revoit après un peu d’absence,

On le retrouve encor plus plein d’extravagance. »

*  

Sur DAMON, le raisonneur

« C’est un parleur étrange, et qui trouve, toujours

L’art de ne vous rien dire, avec de grands discours ;

Dans les propos qu’il tient, on ne voit jamais goutte,

Et ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute. »

*

Sur TIMANTE, le mystérieux

« C’est de la tête aux pieds un homme tout mystère,

 Qui vous jette, en passant, un coup d’œil égaré,

 Et, sans aucune affaire, est toujours affairé.

 Tout ce qu’il vous débite en grimaces abonde ;

 À force de façons, il assomme le monde ;

 Sans cesse, il a, tout bas, pour rompre l’entretien

 Un secret à vous dire, et ce secret n’est rien ;

 De la moindre vétille il fait une merveille,

 Et, jusques au bonjour, il dit tout à l’oreille. »

*

Sur GÉRALDE, l’ennuyeux

« Ô l’ennuyeux conteur !

  Jamais on ne le voit sortir du grand seigneur ;

 Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse,

 Et ne cite jamais que duc, prince, ou princesse :

 La qualité l’entête ; et tous ses entretiens

Ne sont que de chevaux, d’équipage et de chiens ;

 Il tutaye en parlant ceux du plus haut étage,

 Et le nom de Monsieur est chez lui hors d’usage. »

*

 Sur ADRASTE, l’orgueilleux

« Ah ! quel orgueil extrême !

 C’est un homme gonflé de l’amour de soi-même.

Son mérite jamais n’est content de la cour :

Contre elle, il fait métier de pester chaque jour,

Et l’on ne donne emploi, charge ni bénéfice,

 Qu’à tout ce qu’il se croit on ne fasse injustice. »

*

Sur CLÉON, le sot

« Que de son cuisinier, il s’est fait un mérite,

 Et que c’est à sa table, à qui l’on rend visite.

[...]

Oui, mais je voudrais bien qu’il ne s’y servît pas :

C’est un fort méchant plat, que sa sotte personne,

Et qui gâte, à mon goût, tous les repas qu’il donne. »

*

Sur DAMIS, l’orgueilleux

« [...] Mais il veut avoir trop d’esprit, dont j’enrage ;

Il est guindé sans cesse ; et dans tous ses propos,

 On voit qu’il se travaille à dire de bons mots.

 Depuis que dans la tête il s’est mis d’être habile,

 Rien ne touche son goût, tant il est difficile ;

 Il veut voir des défauts à tout ce qu’on écrit,

Et pense que louer n’est pas d’un bel esprit,

 Que c’est être savant, que trouver à redire,

 Qu’il n’appartient qu’aux sots d’admirer et de rire,

 Et qu’en n’approuvant rien des ouvrages du temps,

 Il se met au-dessus de tous les autres gens ;

Aux conversations même il trouve à reprendre :

 Ce sont propos trop bas, pour y daigner descendre ;

 Et les deux bras croisés, du haut de son esprit

 Il regarde en pitié tout ce que chacun dit. »

Remarque

   Dans la pièce LXXXVIII des Fleurs du mal (« Spleen et Idéal »), titrée « L'Imprévu », Baudelaire écrit à propos de Célimène :

« Célimène roucoule et dit : « Mon cœur est bon,

Et naturellement, Dieu m'a faite très belle. »

- Son cœur ! Cœur racorni, fumé comme un jambon,

Recuit à la flamme éternelle ! » 

 Contexte

   Alceste est tombé amoureux de Célimène, jeune veuve coquette, mondaine et perfide. L’intrigue est faite en grande partie des efforts d’Alceste pour obtenir de Célimène une franche explication qui la convertisse au mariage, lequel ne saurait être dans son esprit qu’une heureuse solitude à deux. La méprise entre eux est évidente. Alceste rompra avec elle pour s’enfuir au pays de Misanthropie… Célimène ne vit et ne brille que dans son salon parisien, où elle sacrifie, au milieu de ses nombreux soupirants (Clitandre, Acaste, Eliante, Philinte), aux mondanités raffinées, hypocrites et cruelles.

Cette scène des portraits est célèbre.

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Notes

[1] Célimène, grande prêtresse du bel esprit, aime employer des expressions populaires : une forme de snobisme avant l’heure…

[2] Métaphore de la langue précieuse signalée par Somaize dans son Dictionnaire.

[3] A le sens d’un superlatif.

[4] Voir note 1.

Comment interpréter (jouer) la scène 3 de l'acte IV du Misanthrope (Molière) ?

Extrait

CÉLIMÈNE, ALCESTE 

ALCESTE

« Ô Ciel ! de mes transports, puis-je être, ici, le maître ?

CÉLIMÈNE

  Ouais ! quel est donc le trouble où je vous vois paraître ?

 Et que me veulent dire et ces soupirs poussés,

Et ces sombres regards que sur moi vous lancez ?

ALCESTE

 Que toutes les horreurs, dont une âme est capable

 À vos déloyautés, n’ont rien de comparable ;

 Que le sort, les démons, et le Ciel en courroux

 N’ont jamais, rien produit de si méchant que vous.

CÉLIMÈNE

Voilà certainement des douceurs que j’admire.

ALCESTE

Ah ! ne plaisantez point, il n’est pas temps de rire ;

 Rougissez, bien plutôt, vous en avez raison

 Et j’ai de sûrs témoins de votre trahison.

 Voilà ce que marquaient les troubles de mon âme ;

Ce n’était pas en vain que s’alarmait ma flamme :

 Par ces fréquents soupçons, qu’on trouvait odieux,

 Je cherchais le malheur qu’ont rencontré mes yeux :

 Et malgré tous vos soins, et votre adresse à feindre,

 Mon astre me disait ce que j’avais à craindre.

Mais ne présumez pas que, sans être vengé,

 Je souffre le dépit de me voir outragé.

 Je sais que sur les vœux on n’a point de puissance,

 Que l’amour veut partout naître sans dépendance,

 Que jamais par la force on n’entra dans un cœur,

Et que toute âme est libre à nommer son vainqueur.

 Aussi ne trouverais-je aucun sujet de plainte,

 Si pour moi votre bouche avait parlé sans feinte ;

 Et, rejetant mes vœux dès le premier abord,

 Mon cœur n’aurait eu droit de s’en prendre qu’au sort.

Mais d’un aveu trompeur voir ma flamme applaudie,

 C’est une trahison, c’est une perfidie

 Qui ne saurait trouver de trop grands châtiments,

 Et je puis tout permettre à mes ressentiments.

 Oui, oui, redoutez tout, après un tel outrage ;

Je ne suis plus à moi, je suis tout à la rage :

 Percé du coup mortel dont vous m’assassinez,

 Mes sens, par la raison, ne sont plus gouvernés ;

 Je cède aux mouvements d’une juste colère,

 Et je ne réponds pas de ce que je puis faire.

CÉLIMÈNE

D’où vient, donc, je vous prie, un tel emportement ?

 Avez-vous, dites-moi, perdu le jugement ?... »

   Pourquoi cette question d’interprétation ? Aucune didascalie certes, mais les répliques induisent des indications de jeu : transports, trouble, soupirs, sombres regard, plaisanter, rire, emportement.

   Cependant, l’interprétation de la scène (et même de toute la pièce) ont fait l’objet de lectures différentes.

   Rousseau voit dans Alceste un modèle de sincérité et de vertu. Les Romantiques en font un héros tragique. On peut avant tout supposer que Molière voit en Alceste un personnage ridicule et que la scène doit être jouée sur le mode caricatural. En effet, dans le contexte des conventions du 17e siècle, Alceste en fait trop. Son langage n’est pas celui des « honnêtes hommes » (rôle de l’alexandrin, censé représenter la conversation mondaine dans la comédie soutenue) mais tourne à l’emphase. Il faut donc jouer la scène dans le registre comique qui naît d’un décalage : selon Alceste, sa situation est tragique ; selon le spectateur, il est ridicule.

   Rousseau et les Romantiques s’identifient à Alceste, ce qui est un contresens, du moins dans l’esprit de Molière.

   Mais là réside l’intérêt des textes de théâtre : leur ouverture à de significations multiples... La preuve ? Alceste à bicyclette !   

Ambiguïté du Misanthrope

   La pièce, dont l’intrigue est mince, tire sa force de la peinture des caractères et de l’observation des salons parisiens. S’y ajoute sans doute une couleur autobiographique qui enrichit d’une note pathétique le personnage d’Alceste.

   Alceste, dans un dialogue avec Philinte, oppose à l’indulgence de son ami l‘intransigeance de ses jugements et la misanthropie de son caractère : « L’ami du genre humain n’est pas du tout mon fait. » Or il est épris de Célimène, une précieuse fine et intelligente qui pratique avec une rare maîtrise duplicité et coquetterie. Sa science mondaine développe en d’étincelants dialogues les rituels sociaux au goût du jour : portraits à la médisance calculée, disputes poétiques (le sonnet « bon à mettre au cabinet »), opposition venimeuse des dévots et des mondains.

   Elle paiera d’une humiliation son excessive coquetterie mais les gentilshommes de la cour ne sont pas non plus épargnés : Molière dévoile leur sécheresse de cœur et le mépris profond de la femme qui se dissimule sous leur galanterie. Ces marquis de comédie sont les vrais représentants d’une société vaine et corrompue qui ne peut faire d’Alceste qu’une victime. Son inadaptation prouvée (il perd son procès contre toute justice et rompt avec Célimène), Alceste tire la leçon des événements et se retire du monde.   

Ambiguïté de la pièce

   Ce dénouement, peu conforme à la comédie, souligne son ambivalence. Certains ont cru y voir l’image des déchirements de Molière lui-même. En effet, lorsqu’il représente en 1666 la pièce à laquelle il travaille depuis deux ans, nul ne doute qu’elle ne soit liée à ses mésaventures conjugales (sa femme le trompe) et aux attaques dont son œuvre a été l’objet.

   La pièce déconcerta le public, accoutumé à un comique plus franc (« On rit dans l'âme », écrit un contemporain) mais fut encensée par la critique. Pour Boileau, Molière sera « l’auteur du Misanthrope » et Rousseau louera la vertu d’Alceste. Musset sera plus sensible au tragique du personnage. La pièce, souvent représentée, a déterminé deux écoles d’interprétation, selon qu’Alceste passe pour un extravagant ou que l’on accentue au contraire la tonalité douloureuse du personnage. Mais il est hors de doute que le 17e siècle voyait en lui les ridicules, alors que le spectateur moderne est plus sensible à l’accent pathétique et héroïque d’Alceste.

Ambiguïté d'Alceste

   C'est un redresseur de torts qui se donne pour modèle (remettant en cause les principes et les usages de la société) mais que sa fermeture d'esprit, son emportement et sa passion pour une coquette changent en contre-modèle. Amitié sincère et généreuse, lucidité et honnêteté se cachent chez cet homme apparemment terne et résigné à ce que le monde aille comme il va. Qui a tort ? Qui a raison ?

   La profondeur de la comédie est de ne pas répondre et de laisser pour les siècles à venir le champ ouvert à toutes les interprétations.

Remarque : Rousseau reprochera à Molière d'avoir rendu ridicule "le véritable homme de bien" (Alceste), qui incarne pour lui la vertu et ne mérite pas le nom de misanthrope car ce n'est pas ses semblables qu'il hait, mais "les maux qu'ils se font réciproquement et les vices dont ces maux sont l'ouvrage."

Aide pour une lecture intégrale du Misanthrope

Signature de Molière   Il s'agit ici d'une lecture par thèmes.

I. Comédie de mœurs

1/ Figures du temps

  • Les marquis ridicules : Oronte (Acte I, scène 2) ; Acaste et Clitandre (Acte II, scènes 2 et 4 ; Acte III, scène 1).
  • La prude : Arsinoé (Acte III, scènes 3, 4 et 5).
  • Les « honnêtes » gens : Philinte et Eliante (Acte I, scène 1 ; Acte II, scène 5 ; Acte IV, scène 1).

2/ Mœurs mondaines

  • Civilités d’usage
  • Politesse de cour
  • Conversation (Acte II, scène 4)
  • Poésie galante (Acte I, scène 2)
  • Portraits (Acte II, scène 4)
  • Affaire d’honneur (Acte II, scène 6 ; Acte IV)
  • Procès (Acte I, scène 1 ; Acte IV, scène 4 ; Acte V, scène 1).

II. Comédie de caractères

1/ La coquette : Célimène

  • Ses défauts et ses charmes
  • Ses amours
  • Mondanités et médisances (Acte II, scène 2 et 4)
  • Perfidies (Acte III, scène 4)
  • Ruses et roueries (Acte IV, scène 3 ; Acte V, scène 2)
  • Vérité du personnage (Acte V, dernière scène)

2/ L’atrabilaire : Alceste

  • Sa haine du mensonge et son culte de la sincérité (Acte I, scènes 1 et 2)
  • Son esprit de contradiction
  • Sa misanthropie
  • Son amour possessif et sa jalousie (Acte II, scène 1 ; Acte IV, scènes 2 et 3 ; Acte V, dernière scène)

DOSSIER ALCESTE

   * Contre le personnage : se demander pourquoi le misanthrope paraît comique au 17e siècle. Pourquoi Molière voit-il en lui un caractère « chimérique » ?

   * Pour Alceste : on peut le trouver sympathique et en faire un héros méconnu. Cf. Rousseau dans sa Lettre à d’Alembert sur les spectacles. Ou encore Musset dans Une Soirée perdue qui parle à propos de la pièce d’une « mâle gaieté, si triste et si profonde / que, lorsqu’on vient d’en rire, on devrait en pleurer. » Pourquoi les romantiques ont-ils voulu réhabiliter le personnage ?

   * Alceste et Molière : certains ont vu dans Le Misanthrope un « journal intime ». Réfléchir aux liens qui unissent le personnage et son créateur, à leurs expériences respectives à la scène et à la ville.

   * Le rôle d’Alceste : à quel comédien le confier ? quel âge donner au personnage ? Vingt ans environ, estiment certains : pourquoi ? On peut étudier les interprétations divergentes proposées par les acteurs ou metteurs en scène.

   * Littérature comparée : le thème du misanthrope dans le Timon d’Athènes de Shakespeare, Le Misanthrope de Schiller et L’Ennemi du peuple d’Ibsen.

III. Un comique sérieux ?

1/ Mécanisme comique

   * On peut montrer que l’intrigue progresse en fonction des obstacles qui empêchent Alceste d’avoir un entretien décisif avec Célimène. Alceste attribue aux « vices du temps » les défauts de Célimène et il espère « en purger son âme ». Dès le premier acte, il décide de la mettre en demeure de choisir entre lui et ses rivaux ; mais chaque fois qu'il va lui poser la question, tantôt Célimène se dérobe, tantôt des fâcheux viennent les séparer. L'irritation d'Alceste grandit donc d'acte en acte : il soupçonne qu'elle le trahit, la découvre méprisable mais il est néanmoins incapable de vaincre sa passion pour elle (C'est d'ailleurs de ce drame que vient l'unité de la pièce... comique si l'on veut) : « Mais la raison n'est pas ce qui règle l'amour. »      

   * On peut montrer que la misanthropie a souvent tendance à se manifester à contretemps ou qu’il lui arrive d’agir en contradiction avec ses principes.

2/ Typologie comique

   Montrer en quoi Alceste, même si son caractère est complexe et nuancé, reste un personnage de farce.

3/ Comique de farce

   Gestes, comportements, situations et caractères (Acte I, scène 2 ; Acte IV, scènes 3 et 4).

4/ Comique de parodie

   Relever dans la bouche d’Alceste des vers du Cid. Pourquoi a-t-on pu considérer Alceste comme « la parodie vivante du héros tragique » ?

5/ Comédie ou drame ?

   Analyser les registres (et leur mélange) comique et pathétique.

IV. Techniques dramatiques

   La comédie classique : analyser ce qui rend Le Misanthrope conforme aux règles de la dramaturgie classique.

Remarque

   Le dénouement, où se dégage habituellement le sens des comédies de Molière, n'a rien de conformiste :

« Trahi de toutes parts, accablé d'injustices,

Je vais sortir d'un gouffre où triomphent les vices

Et chercher sur la terre un endroit écarté

Où d'être homme d'honneur on ait la liberté. »

   La vertu et le siècle sont donc inconciliables.

Le Misanthrope (Molière) : agrégation interne de Lettres 2008 (Rapport du jury)

   Le Misanthrope (Molière) était au programme de l'Agrégation interne de lettres modernes à la session de 2008 dans le cadre de la littérature comparée (Commentaire d’un texte à l'oral). 

   Quelques exemples de sujets : Acte I, sc. 1 (v.1-96) ; Acte I, sc. 2 ; Acte I, sc. 2-3 (v. 357-446) ; Acte II, sc. 1-3 ; Acte III, sc. 4 ; Acte IV, sc. 1 ; Acte IV, sc. 3-4 v. 1391-1480 ; Acte V v. 1691-1808 ; Acte V, sc. dernière.

Rapport du jury (extraits)

   « Les commentaires sur le Misanthrope de Molière ont été particulièrement révélateurs d’un défaut de préparation spécifique à cet auteur. Les performances faisaient en effet état de connaissances indéniables sur l’ensemble de l’œuvre, mais celles-ci étaient visiblement le résultat de préparations antérieures portant sur d’autres pièces de Molière (en particulier les comédies-ballets !), et non d’un travail spécifique sur Le Misanthrope.

   On soulignera quatre défauts majeurs et récurrents dans les prestations des candidats :

   1. L’intégralité, ou presque, des connaissances sur le contexte de l’œuvre, sa structure, les conditions de sa représentation, ses enjeux et sa réception provenaient d’une lecture plus ou moins hâtive des notes de l’édition au programme. C’est ainsi, par exemple, qu’aucun des candidats confrontés aux scènes (IV, 3 en particulier) dans lesquelles Molière réutilise de longues séries de vers repris de son unique comédie héroïque, Dom Garcie de Navarre, n’a évoqué cette source pourtant incontournable de l’intrigue du  Misanthrope ; toutes les éditions de poche donnent cette source, sauf justement celle de Bourqui !

   2. les performances témoignent d’une connaissance superficielle du contexte de l’œuvre, et en particulier des enjeux liés à l’opposition, dans l’intrigue du Misanthrope, de différents modèles de sociabilité. La moyenne des candidats oppose de façon manichéenne une « hypocrisie » du comportement des personnages, confondant le comportement de Philinte et d’Eliante avec celui de l’ensemble des marquis, à l’ « extravagance » et à la « mélancolie » du solitaire Alceste, sans analyser réellement le contenu moral, philosophique, social ou économique des positions défendues par tel ou tel personnage dans telle ou telle scène. C’est ainsi, par exemple, que le contenu des portraits exécutés par Célimène dans la scène 4 de l’acte II n’est pas abordé, non plus que l’enjeu de sa querelle avec Arsinoé (III, 4). De même, l’ambiguïté esthétique et sociale du rôle d’Alceste, décriant les mœurs d’un groupe social dont il fait lui-même partie, n’est pas sentie.

    3.  les connaissances en esthétique sont insuffisantes : le comique et le tragique sont les deux seules catégories dramatiques utilisées ; du coup, tout ce qui, dans la pièce, relève de la comédie héroïque, de la grande comédie morale ou même de la tragi-comédie (ex : quasi-citations du Cid) n’est donc pas vu.

    4. Un certain nombre d’idées toutes faites, appliquées en dépit du bon sens à des scènes dont elles n’éclairent pas le sens, remplacent trop souvent l’analyse du contenu dramatique des scènes : ainsi, le « Chut !» d’Acaste mettant fin à son dialogue avec Clitandre parce qu’il voit entrer Célimène est interprété comme « un signe certain d’une crise du langage, aboli dans son efficacité » ! De même, on analyse mécaniquement la colère d’Alceste devant la trahison supposée de Célimène (IV, 3) comme une manifestation de folie atrabilaire, justiciable du seul traitement médical.

    Dans l’ensemble, il faut donc insister sur le défaut principal que révèle cette impréparation des commentaires sur Molière : les candidats, croyant connaître l’auteur, ont négligé de relire la pièce, pourtant connue pour être l’une des plus difficiles et des plus ambigües de l’auteur. Il importe que les candidats proposent une lecture attentive, personnelle, précise et informée du passage sur lequel ils travaillent, plutôt que de plaquer une série de schémas tout faits sur une œuvre qu’ils n’ont pas relue. »

Note sur le "cabinet" du Misanthrope

Un cabinet au 17e siècle   Harcelé par Oronte au sujet d’un sonnet, Alceste s’écrie : « Franchement, il est bon à mettre au cabinet. »

   On s’interroge sur le sens donné ici par Molière au terme cabinet et ce, dès le 17e siècle.

   En théorie, il s’agit d’une petite pièce discrète où le maître de maison conserve ce qu’il a de plus précieux. Ou bien de ce meuble à volets et tiroirs (né au 16e siècle) où les précieuses « serrent » leurs billets doux.

   Dans ce cas, Alceste conseille de fourrer le sonnet dans un tiroir, au lieu de le faire lire à tout va.

   Mais le Dictionnaire de Furetière indique, avant 1688, que le cabinet en question est l’endroit « où on va faire les nécessités de nature », ce que l’on commence à nommer « cabinet de garde-robe »... Que choisir ?

Sources : Dictionnaire du Grand Siècle, François Bluche, Fayard, nouvelle édition 2005, Article de François Bluche. 

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Date de dernière mise à jour : 27/04/2020