« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Bon à savoir sur Polyeucte (Corneille)

I. Les sources

   Polyeucte est une tragédie chrétienne. Dans son Abrégé du martyre de Saint Polyeucte, Corneille nous signale lui-même les sources auxquelles il a emprunté le sujet de sa pièce : la Vie des Saints de Siméon Métaphrase, compilateur byzantin du 10e siècle, l’abrégé qu’en firent au 16e siècle deux érudits allemands, Surius et Mosander, enfin les Annales ecclésiastiques du cardinal César Baronius (16e siècle), où quelques mots seulement sont consacrés à ce martyre assez obscur.

   La matière fournie par les textes sacrés était mince : sous l’empereur Décius (249-251), un gentilhomme arménien nommé Polyeucte, poussé par son ami Néarque, résolut de se faire chrétien. Avant même d’avoir reçu le baptême, il voulut accomplir un acte méritoire : il déchira l’édit de l’empereur qui menaçait de mort tous les chrétiens et brisa les idoles des dieux papiers. On l’arrêta et comme les supplications de sa femme Pauline et de son beau-père Félix, chargé par Décius de punir les chrétiens, ne purent obtenir de lui une rétractation, on le conduisit au supplice.  

   C’est de cette brève histoire que Corneille tira sa pièce en prêtant aux personnages des sentiments et un caractère qu’ils n’avaient pas dans les textes sacrés, créant notamment le rôle de Sévère[1] qui donne un grand relief au caractère de Pauline, placée entre un ancien prétendant, évincé par son père, et le mari qui lui a été imposé ; en inventant également le songe de Pauline, le baptême effectif de Polyeucte, le sacrifice pour la victoire de l’Empereur, la dignité de Félix qu’il fait gouverneur d’Arménie, la mort de Néarque, la conversion de Félix et de Pauline.   

 

[1] Chevalier romain, favori de l’empereur Décius.

II. Les représentations

   D’après la tradition, Corneille ayant terminé sa tragédie en donna lecture à l’Hôtel de Rambouillet, devenu un tribunal littéraire. Mais les habitués de la chambre bleue n’apprécièrent pas la pièce. On blâma le « fanatisme » de Polyeucte et Voiture avertit Corneille que sa pièce « n‘avait point réussi comme il le pensait, et que surtout le christianisme avait extrêmement déplu. » Ébranlé, Corneille fit sur le point de retirer la pièce, déjà en répétition à l’Hôtel de Bourgogne. Le comédien Hauteroche l’en dissuada, lui montrant qu’il fallait négliger l’opinion d’un cénacle restreint et en appeler au jugement du public, seul vrai juge en matière de théâtre.

   On ne sait quand eut lieu la première représentation, probablement durant l’hiver 1641-1642. En tout cas le succès fut immense et on rapporte que les comédiens gagnèrent « plus d’argent au Polyeucte qu’à quelque autre tragédie qu’ils avaient représenté depuis. »  

III. L’interprétation

   L’interprétation de la pièce varia bien entendu avec les siècles. Le 17e considérait le rôle de Sévère comme le plus important et ne s’intéressait qu’aux amours de Sévère et de Pauline : pour le public de ce temps, le drame consistait dans le déchirement des deux amants.

   Au 18e siècle, on s’attacha surtout à la lutte entre les sentiments et la contrainte religieuse : on vit en Sévère un sceptique et un libre-penseur.

   Au 19e siècle seulement, on donna au rôle de Polyeucte la première place et la tragédie redevint, selon la pensée de Corneille, une « tragédie chrétienne ».

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