« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Épilogue (Livre XI)

Épilogue[1]

C’est ainsi que ma muse, aux bords d’une onde pure[2]

Traduisait en langue des dieux[3]

Tout ce qui disent sous les cieux

Tant d’êtres empruntant la voix de la nature.

Trucheman[4] de peuples divers,

Je les faisais servir d’acteurs en mon ouvrage ;

Car tout parle dans l’univers ;

Il n’est rien qui n’ait son langage :

Plus loquent chez eux qu’ils ne sont dans mes vers,

Si ceux que j’introduis me trouvent peu fidèle[5],

Si mon œuvre n’est pas un assez bon modèle,

J’ai du moins ouvert le chemin[6] :

D’autres pourront y mettre une dernière main ;

Favori des neuf Sœurs[7], achevez l’entreprise :

Donnez mainte leçon que j’ai sans doute omise ;

Sous ces inventions il faut l’envelopper.

Mais vous n’avez que trop de quoi vous occuper.

Pendant le doux emploi[8] de ma muse innocente,

Louis dompte l’Europe ; et, d’une main puissante,

Il conduit à leur fin les plus nobles projets

Qu’ait jamais formés un monarque.

Favori des neuf Sœurs, ce sont là des sujets

Vainqueurs du temps et de la Parque.

 

 

[1] Ceci n’est pas vraiment un adieu à la fable. La Fontaine, après 1679, publia isolément différentes fables qui constituèrent plus tard le XIIe livre (1694). Ce petit morceau est visiblement inspiré de l’épilogue, d’ailleurs sans authenticité, qui se trouve à la fin des Géorgiques.

[2] Détail bien conventionnel.

[3] En vers.

[4] Une fois de plus, La Fontaine n’a pas de prétention à l’originalité. Il n’est qu’un trucheman, c’est-à-dire un interprète.

[5] Dans le langage que je leur prête.

[6] Du moins en ce qui concerne les poètes français.    

[7] Les Muses. Il s’adresse aux poètes.

[8] L’activité pacifique. Le roi au contraire vient de faire signer à ses ennemis le traité de Nimègue (1678).

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