« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Lyrisme amoureux et volupté

Les femmes et le lyrisme amoureux chez les préclassiques du premier XVIIe siècle

Vanités   La femme est certes idéalisée mais elle reste bien réelle : à la fois objet de désir et soumise à la décrépitude de la vieillesse, comme en témoigne entre autres Tristan L’Hermitte :

« Vos yeux enflés et languissants

[...]

Languiront comme le soleil

Qui sortant d’un lit d’écarlate

Est encor tout gros de sommeil

Votre bouche encor souffrira

Car un gris de lin couvrira

L’éclat de ses roses nouvelles... »

(À Mademoiselle*** sur son voyage en Pologne)

   L’idéalisation est patente dans les diverses Bergeries, L’Astrée et les romans précieux (ceux de Mlle de Scudéry par exemple) mais la réalité est toute autre : les Iris et Clélie restent des allégories et les lecteurs du temps devinent leur véritable identité : femmes bien en chair – au propre comme au figuré – et maîtresses fougueuses. L’amour charnel fait partie de la vie quotidienne. Ainsi la femme aimée de Tristan L’Hermitte, surprise au réveil, « Ses yeux que le sommeil abandonnait encore, / Ses cheveux autour d’elle errant confusément... » (« La Négligence avantageuse »). De nombreux poèmes nous font participer à l’intimité quotidienne des amants. L’érotisme est flagrant, comme le rappelle Baudelaire dans les Journaux intimes qui cite le sonnet libertin « J’ai rêvé cette nuit que Philis revenue... ». Théophile de Viau écrit ainsi :

« Tous les secrets d’amour que le soleil exprime

Mon âme les ressent

Et le matin je pense avoir commis un crime

Dans mon lit innocent.

De honte à mon réveil je suis toute confuse,

Et, d’un œil tout fâché,

Je vois dans mon miroir la rougeur qui m’accuse

D’avoir fait un péché... »

(Pour Mademoiselle de M***)

   « La Belle Vieille » de Maynard évoque certes l’amitié amoureuse mais sous-entend une grande part d’érotisme : « Et ferais, jour et nuit, l’amour à ton cercueil ! »

   Tristan L’Hermitte et Théophile de Viau sont particulièrement représentatifs de ce va-et-vient entre volupté, idéalisme et mélancolie. Précieux nourris de modèles italiens et de baroque, ils livrent respectivement « La maison d’Astrée » et « La Maison de Sylvie ».

   Mentionnons également un thème majeur, celui de la coexistence de l’amour et de la mort que Marbeuf sous-entend par ce magnifique sonnet :

« Et la mer et l'amour ont l'amer pour partage,

Et la mer est amère, et l'amour est amer,

L'on s'abîme en l'amour aussi bien qu'en la mer,

Car la mer et l'amour ne sont point sans orage.

 *

Celui qui craint les eaux qu'il demeure au rivage,

Celui qui craint les maux qu'on souffre pour aimer,

Qu'il ne se laisse pas à l'amour enflammer,

Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

 *

La mère de l'amour eut la mer pour berceau,

Le feu sort de l'amour, sa mère sort de l'eau,

Mais l'eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

 *

Si l'eau pouvait éteindre un brasier amoureux,

Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,

Que j'eusse éteint son feu de la mer de mes larmes. »

   Il écrit ailleurs : « Au repos du sommeil la mort n’est point contraire, / C’est la même douceur... ». Maynard, quant à lui, déclare que la mort est « une loi non pas un châtiment. »

   Les joies charnelles sont inséparables de visions funestes, comme le souligne Marbeuf : « ... vos tombeaux pleins de ténèbres / Esprits... ». Mais il reste le seul à désigner les femmes par leurs véritables prénoms, Isabelle, Valiane, Madeleine, Anne, Gabrielle, Jeanne ou Hélène. Quant à ses Amaranthe, Sylvie ou Marie, elles relèvent plutôt de symboles.  

Sources : Un certain XVIIe siècle, Jean Tortel, André Dimanche Éditeur, 1994.

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