« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Le jardin des Tuileries

Au XVIIe siècle...

   Le jardin des Tuileries vers 1680 (gravure de Perelle)

   Le Palais des Tuileries (ainsi appelé car il a été bâti sur un emplacement où était établie une fabrique de tuiles) est commencé par Catherine de Médicis en 1560 sur les plans de l’architecte Philibert Delorme. Le jardin est achevé sous Louis XIV par le Nôtre en 1665. En ce qui concerne le Palais du Luxembourg, bâti par Marie de Médicis, il est habité par La Grande Mademoiselle, fille de Gaston d’Orléans, le frère de Louis XIII. Elle avait interdit au public l’accès des jardins attenant au palais.

   Charles Perrault (l’auteur des Contes) a été nommé « commis » par Colbert, c’est-à-dire haut fonctionnaire à la surintendance des bâtiments du roi. Il écrit dans ses Mémoires :

   « Quand le jardin des Tuileries fut achevé de replanter, et mis dans l’état où vous le voyez : « Allons, me dit Colbert, aux Tuileries en condamner les portes ; il faut conserver ce jardin au roi, et ne le pas laisser ruiner par le peuple, qui en moins de rien l’aura gâté entièrement. » La résolution me parut bien rude et fâcheuse pour tout Paris. Quand il fut dans la grande allée, je lui dis : « Vous ne croiriez pas, monsieur, le respect que tout le monde, jusqu’au plus petit bourgeois, a pour ce jardin ; non seulement les femmes et les petits enfants ne s’avisent jamais de cueillir aucune fleur, mais même d’y toucher ; ils s’y promènent tous comme des personnes raisonnables ; les jardiniers peuvent, monsieur, vous en rendre témoignage ; ce sera une affliction publique de ne pouvoir plus venir ici se promener, surtout à présent que l’on n’entre plus au Luxembourg ni à l’hôtel de Guise[1] - Ce ne sont que des fainéants qui viennent ici, me dit-il. – Il y vient, lui répondis-je, des personnes qui relèvent de maladie, pour y prendre l’air ; on y vient parler d’affaires de mariages, et de toutes choses qui se traitent plus convenablement dans un jardin que dans une église, où il faudra à l’avenir se donner rendez-vous. Je suis persuadé, continuai-je, que les jardins des rois ne sont si grands et si spacieux qu’afin que tous leurs enfants puissent s’y promener. »

   Il sourit à ce discours, et dans ce même temps la plupart des jardiniers des Tuileries s’étant présentés devant lui, il leur demanda si le peuple ne faisait pas bien du dégât dans leur jardin. « Point du tout, monseigneur, répondirent-ils presque tous en même temps ; ils se contentent de s’y promener et de regarder. – Ces messieurs, repris-je, y trouvent même leur compte car l’herbe ne croît pas si aisément dans les allées. »

   M. Colbert fit le tour du jardin, donna ses ordres, et ne parla point d’en fermer l’entrée à qui que ce fût. J’eus bien de la joie d’avoir en quelque sorte empêché qu’on n’ôtât cette promenade au public. Si une fois M. Colbert eût fait fermer les Tuileries, je ne sais pas quand on les aurait rouvertes. Cette dureté aurait été louée de toute la cour, qui ne manque jamais d’applaudit au ministre, particulièrement quand il paraît y avoir du zèle pour le plaisir du prince. »    

 


[1] L’hôtel de Guise, qui appartenait aux ducs de Guise, était également entouré de jardins. Il devint l’Hôtel de Soubise et contient aujourd’hui les Archives nationales.

Hôtel de Soubise

... et dans l'oeil de Marcel Proust

   « Au jardin des Tuileries, ce matin, le soleil s’est endormi tour à tour sur toutes les marches de pierre comme un adolescent blond dont le passage d’une ombre interrompt aussitôt le somme léger. Contre le vieux palais[1] verdissent de jeunes pousses. Le souffle du vent charmé mêle au parfum du passé la fraîche odeur des lilas. Les statues qui sur nos places publiques effrayent comme des folles, rêvent ici dans les charmilles comme des sages sous a verdure lumineuse qui protège leur blancheur. Les bassins au fond desquels se prélasse le ciel bleu luisent comme des regards. De la terrasse du bord de l’eau, on aperçoit sortant du vieux quartier du quai d’Orsay, sur l’autre rive et comme dans un autre siècle, un hussard qui passe. Les liserons débordent follement des vases couronnés de géraniums. Ardent de soleil, l’héliotrope brûle ses parfums. Devant le Louvre s’élancent des roses trémières, légères comme des mâts, nobles et gracieuses comme des colonnes, rougissantes comme des jeunes filles. Irisés de soleil et soupirant d’amour, les jets d’eau montent vers le ciel. Au bout de la terrasse, un cavalier de pierre lancé sans changer de place dans un galop fou, les lèvres collées à une trompette joyeuse, incarne toute l’ardeur du printemps.

Roses trémieres (Berthe Morisot, 1880)

   Mais le ciel s’est assombri, il va pleuvoir. Les bassins, où nul azur ne brille plus, semblent des yeux vides de regards ou des vases pleins de larmes. L‘absurde jet d’eau, fouetté par la brise, élève de plus en plus vite vers le ciel son hymne maintenant dérisoire. L’inutile douceur des lilas est d’une tristesse infinie. Et là-bas, la bride abattue, ses pieds de marbre excitant d’un mouvement immobile et furieux le galop vertigineux de son cheval, l’inconscient cavalier trompette sans fin sur le ciel noir.    

Les Plaisirs et les Jours, « Rêveries couleur du temps ».

 


[1] En fait, le Palais des Tuileries fut incendié en 1871 lors de la Commune.

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Date de dernière mise à jour : 15/09/2019