« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

Débuts de la critique d’art au 17e siècle

1/ En premier lieu, citons les artistes du 17e siècle

* Architecture :

- Claude Perrault (1613-1688), l’auteur de la colonnade du Louvre (1667-1674)

- Jules Hardouin Mansart (1646-1708), qui construit le château de Versailles à partir de 1670, où Louis XIV s’installe définitivement en 1682

- Libéral Bruand (1637-1697), qui de 1671 à 1674 élabore l’Hôtel des Invalides (sauf le Dôme construit par Mansart au début du 18e siècle)

* Sculpture : 

- Pierre Puget (1620-1694)

- François Girardon (1628-1715)

- Coysevox (1640-1720)

- Nicolas (1658-1733) et Guillaume Coustou (1677-1746)

* Peinture :

- Simon Vouet (1590-1649)

- Nicolas Poussin (1594-1665)

- Claude Gellée, dit Le Lorrain (1600-1682)

- Philippe de Champaigne (1602-1674)

 

 

 

 

 Louis (1593-1648), Antoine (1598-1648) et Mathieu Le Nain (1607-1677)

- Pierre Mignard (1610-1695)

- Eustache Le Sueur (1616-1655)

- Sébastien Bourdon (1616-1671)

- Charles Le Brun (1619-1690)

Il faut y ajouter :

* les portraitistes comme Nicolas Largillière (1656-1746) et Hyacinthe Rigaud (1659-1743)

* les graveurs comme Jacques Callot (1592-1635) et Abraham Bosse (1602-1676)

* les ébénistes comme Boulle (1642-1732)

* les dessinateurs de jardins comme Le Nôtre (1613-1700)

2/ Les institutions

   Plusieurs institutions encouragent au 17e siècle le mouvement artistique en France. En 1648 est créée l’Académie royale de peinture et de sculpture, reconstituée par Colbert en 1664, et qui organise les premières expositions de tableaux, notamment en 1673 dans la cour du Palais-Royal, en 1699 dans les galeries du Louvre. En 1666 est fondée, pour former les artistes, l’Académie de France à Rome, qui en 1676 est rattachée à l’Académie royale de peinture et de sculpture. En 1601 la Manufacture des Gobelins, qui depuis sa création en 1450 par Jehan Gobelin a été une teinture d’écarlate, devient un atelier de tapisserie, que protègent successivement Henri IV, Louis XIII et Louis XIV ; achetée en 1662 par l’État pour être une manufacture de tapisserie, elle se transforme en 1667 en Manufacture royale des meubles de la Couronne, où sous la direction de Charles le Brun[1] d’abord, ensuite de Mignard, orfèvres, peintres, sculpteurs, ébénistes et tapissiers travaillent à l’embellissement des châteaux et maisons princières. En 1671 est créée l’Académie d’architecture, et en 1669 l’Académie royale de musique, simple association privée qui n’a rien de commun avec les autres académies officielles.

 


[1] Le Brun, recteur à vie de l’Académie royale de peinture et de sculpture, directeur de la Manufacture des Gobelins à partir de 1663 et directeur de l’Académie de Rome à partir de 1664, exerce sur l’art de son temps une véritable souveraineté.

3/ C’est à l’Académie royale de peinture et de sculpture que prend naissance la critique d’art.

   Sur la proposition de Colbert on institue en 1667 des conférences qui durent jusqu’en 1682 : le premier samedi de chaque mois un membre de l’Académie prend à son tour la parole pour disserter sur un tableau ou sur une question générale (ainsi les conférences de Lebrun sur le Saint-Michel de Raphaël, de Philippe de Champaigne sur La Mise au tombeau du Titien, de Mignard sur La Sainte Famille de Raphaël, de Sébastien Bourdon sur Les Aveugles de Jéricho et sur la lumière, d’Oudry sur les procédés de Largillière, etc.). Tels sont les débuts de la critique d’art en France. Suivra Diderot au siècle suivant (qui n’est donc pas son créateur), auquel on peut rapprocher, dans ses Salons, un aspect un peu trop littéraire, alors que les conférences de l’Académie royale présentent un caractère véritablement technique.       

   La critique d’art est aussi représentée au 17e

- par de nombreux traités

- par deux Dialogues des morts de Fénelon (publiés seulement en 1730), le Dialogue LII (Parrhasius et Poussin – Sur la peinture des anciens et sur le tableau des Funérailles de Phocion, par Poussin) et le Dialogue LIII (Léonard de Vinci et Poussin – Description d’un paysage peint par Poussin)

- par trois poèmes, dont un de Charles Perrault[1], Sur la peinture (1668) et un autre de Molière, La Gloire du Dôme du Val-de-Grâce (1669) :   

Extrait

« ... Assaisonné du sel de nos grâces antiques,

Et non du fade goût des ornements gothiques,

Ces monstres odieux des siècles ignorants,

Que de la barbarie ont produits les torrents,

Quand leur cours, inondant presque toute la terre,

Fit à la politesse une mortelle guerre,

Et de la grande Rome abattant les remparts,

Vint, avec son Empire, étouffer les Beaux-Arts... »

Le Dôme du Val de Grâce

   Ce poème de 366 vers en l’honneur de Mignard est une réplique à celui de Perrault. Pierre Mignard, ami de Molière, a peint de 1663 à 1666 les fresques de la coupole de l’église du Val-de-Grâce : La Gloire, font il a décoré cette coupole, est célèbre. D’après la définition du Dictionnaire de l’Académie (1694), « on appelle gloire, en termes de peinture, la représentation du ciel ouvert, avec les personnes divines, et les anges et les bienheureux. »  

Remarque : le 17e siècle méprise l’art du Moyen Age aussi bien que sa littérature. Gothique est alors synonyme de barbare. C’est le romantisme qui réhabilitera l’art du Moyen Age.

- On trouve également çà et là chez divers écrivains des appréciations artistiques isolées. Notons les rapprochements que Charles Perrault dans son Parallèle des Anciens et des Modernes et Fénelon dans sa Lettre sur les occupations de l’Académie Française ont faits à plusieurs reprise entre la poésie et les autres arts : voilà la première indication de la critique comparée, telle qu’on la trouvera bientôt en France chez l’abbé Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture (1719) et plus tard en Allemagne chez Lessing (Laocoon ou Des limites de la peinture et de la poésie, 1766). 

Extrait des Caractères de La Bruyère 

   « On a dû [on aurait dû] faire du style ce qu’on a fait de [au sujet de] l’architecture. On a entièrement abandonné l‘ordre gothique, que la barbarie avait introduit pour les palais et pour les temples ; on a rappelé le dorique, l’ionique et le corinthien : ce qu’on ne voyait plus que dans les ruines de l’ancienne Rome et de la vieille Grèce, devenu moderne, éclate dans nos portiques et dans nos péristyles. De même, on ne saurait en écrivant rencontrer le parfait, et, s’il se peut, surpasser les anciens que par leur imitation. » (La Bruyère, Les Caractères, chapitre I, 5e édition, 1690).    

Extrait de la Lettre sur les occupations de l’Académie française de Fénelon

   « Les inventeurs de l’architecture qu’on nomme gothique, et qui est, dit-on, celle des Arabes, crurent sans doute avoir surpassé les architectes grecs. Un édifice grec n’a aucun ornement qui ne serve qu’à orner l’ouvrage ; les pièces nécessaires pour le soutenir ou pour le mettre à couvert, comme les colonnes et la corniche, se tournent seulement en grâce par leurs proportions : tout est simple, tout est mesuré, tout est borné à l’usage ; on n’y voit ni hardiesse ni caprice qui impose aux yeux ; les proportions sont si justes, que rien ne paraît fort grand, quoique tout le soit ; tout est borné à contenter la vraie raison. Au contraire, l’architecte gothique élève sur des piliers très minces une voûte immense qui monte jusqu’aux nues ; on croit que tout va tomber, mais tout dure pendant bien des siècles[2] ; tout est plein de fenêtres, de roses et de pointes ; la pierre semble découpée comme du carton ; tout est à jour, tout est en l’air. N’est-il pas naturel que les premiers architectes gothiques se soient flattés d’avoir surpassé, par leur vain raffinement[3], la simplicité grecque ?  

(Fénelon, Lettre sur les occupations de l’Académie française, Chapitre X)

 

[1] Poème consacré à la louange de Le Brun.

[2] L’originalité de l’architecture gothique est justement d’obtenir l’équilibre des matériaux, dans la voûte en ogive, par la lutte même des éléments entre eux : les piliers tiennent parce qu’ils sont pris entre deux forces contraires qui s’annihilent, la voûte qui les pousse à l’extérieur et l’arc-boutant qui les rejette à l’intérieur.

[3] Si Fénelon paraît mieux connaître que ses contemporains l’architecture gothique qu’il vient de décrire avec justesse, on voit ici qu’il ne l’estime pas beaucoup plus.

* * *