« Connaître sert beaucoup pour inventer. » (Mme de Staël)

La Palatine au théâtre

La passion de la princesse Palatine pour le théâtre (Lettres)

Théâtre au 17e siecle   La princesse Palatine apprécie la « comédie », comme on dit en ce temps. C’est la mode, bien entendu. Mais, cultivée et grande lectrice, elle émet des jugements assez sûrs sur les comédiens, les pièces de théâtre et leurs auteurs. 

   * À propos de Corneille : « Je vous dirai donc que Corneille est de nouveau à la mode et qu’on reprend ses plus vieilles comédies l’une après l’autre. C’est là mon plus grand amusement à Paris, quand j’y suis. Le pauvre Corneille en est si aise qu’il m’a assurée en être tout rajeuni et vouloir, avant sa fin, composer une jolie comédie. » (24 novembre 1677).       

   * Le théâtre est mal vu par les dévots : « A propos de comédie, je vous dirai que le meilleur comédien quitte le théâtre. Les dévots lui ont fait peur en lui disant qu’on chasserait tous les comédiens et qu’on donnerait une pension au premier qui quitterait. J’en suis bien fâchée, car le gars joue admirablement. Il s’appelle Baron. Si je n’avais craint de me mettre mal avec les dévots, je lui aurais persuadé de rester. » (1er novembre 1691) « Nous avons failli n’avoir plus de comédie. La Sorbonne, pour plaire au roi, a voulu la faire défendre ; mais l’archevêque de Paris et le père de La Chaise doivent avoir dit au roi que ce serait trop dangereux (de bannir les divertissements honnêtes) parce que cela pousserait la jeunesse à plusieurs vices abominables. Ainsi, Dieu soit loué ! La comédie nous reste : cela contrarie extrêmement, à ce qu’on assure, la vieille ratatinée du grand homme, attendu que c’était elle qui poussait à la suppression de la comédie. Elle doit même avoir fait à ce sujet de grandes menaces à l’archevêque de Paris et au confesseur. Quant à moi, tant qu’on ne supprimera pas entièrement la comédie, on aura beau faire déblatérer contre elle les prédicateurs en chaire, je continuerai d’y aller.  Il y a quinze jours, comme on prêchait contre la comédie, qui anime les passions, disait le prédicateur, le roi se tourna vers moi et me dit : « Il ne prêche pas contre moi qui ne va plus à la comédie, mais contre vous autres qui l’aiment et y allez. » Je lui dis : « Quoique j’aime la comédie et que j’y aille, M. d’Agen ne prêche pas contre moi, car il ne parle que contre ceux qui se laissent exciter des passions aux comédies et ce n’est pas moi. Elle ne fait autre effet que de me divertir, et à cela il n’y a nul mal. » Le roi ne répliqua pas un mot. » (23 décembre 1694)  « Je crois que, comme l’on est tellement dévot à la cour, les auteurs se sont imaginé qu’on ferait meilleur accueil à leur pièce, s’ils y mêlaient un peu de piété. Au début cela a réussi, mais à cette heure on ne peut plus souffrir leur comédie. Quand les acteurs l’annoncèrent la dernière fois, le parterre répondit : « Nous n’en voulons plus ! » - Pourquoi cela ? demandèrent-ils : elle a pourtant été fort goûtée. » Le parterre répondit : « Cette comédie [1] n’a pas été sifflée parce que c’était en Carême et que tous les siffleurs étaient occupés à Versailles à siffler le sermon de l’abbé Boileau. » C’était là une jolie réponse. » (1er mai 1695)

   * À propos de la famille royale : « Avant-hier le roi a permis aux trois princes et à la duchesse de Bourgogne d’aller pour la première fois à la comédie […]. On donnait Le Bourgeois gentilhomme. Le duc de Bourgogne en perdit totalement sa gravité : il riait à en avoir les larmes aux yeux ; le duc d’Anjou étai si heureux qu’il restait là, la bouche bée, comme en extase, regardant fixement la scène ; le duc de Berry riait si fort qu’il faillit tomber de sa chaise […]. La duchesse de Bourgogne qui sait mieux dissimuler se tint fort bien au début, elle riait peu et se contentait de sourire ; mais de temps en temps elles s‘oubliait et se levait de dessus sa chaise pour mieux voir ; elle aussi était bien plaisante en son genre. » (1er novembre 1698) 

   * À propos de Molière : « On joue Le Tartuffe d’autant plus librement que personne ne prétend en être un. Mais je pense que si quelqu’un s’avisait à cette heure de faire de ces comédies-là, la chose ne passerait pas comme cela, vu qu’on croirait alors y retrouver dépeints quelques originaux fort en faveur présentement. » (21 décembre 1698) 

   * À propos de la mort de Racine : « Un homme est en train de passer de vie à trépas, dont la mort sera une bien grande perte ; c’est Racine, celui qui a fait de si grandes comédies : il meurt d’un ulcère. » (15 mars 1699) 

   * À propos de quelques comédiens : « Ce soir nous aurons la comédie de Rodogune [2] avec Allart, ses fils et leurs gambades. Une des nouvelles comédiennes qu’on appelle la Duclos a depuis un an si bien appris son métier qu’à présent elle joue presque aussi bien que la Champmeslé. » (3 novembre 1700)  

   * À propos du théâtre espagnol : « Du temps de notre bonne reine, j’allais assez souvent à la comédie espagnole, bien que je ne comprisse pas un mot d’espagnol ; cela ne m’empêchait pas de voir qu’il y avait quelques comédiens qui jouaient le mieux du monde, et leurs danses, avec la harpe et les castagnettes, me divertissaient beaucoup. Mais quand on allait derrière le paravent où se tenaient les comédiens, ils puaient tous si horriblement l’ail qu’on ne pouvait pas y tenir. » (13 novembre 1700)  

   * On apprend certaines coutumes versaillaises et parisiennes du temps : « C’est sans doute à Paris que la Châteauneuf aura été sifflée ; à Versailles, les sifflets ne sont pas tolérés ; quand un des comédiens joue mal on rit et cela assez bruyamment. » (4 décembre 1701) « Pour ce qui est des comédies, on en joue à la cour et à Paris jusqu’à la semaine qui précède la semaine sainte ; c’est ainsi qu’il y a huit jours toutes les comédies et tous les spectacles ont cessé à Paris, où l’on recommencera le lundi de la Quasimodo ; mais à la cour le spectacle ne reprendra qu’en automne à Fontainebleau. » (25 mars 1706)

   * Elle est toujours curieuse de nouveautés : « J’entends dire tous les jours : aujourd‘hui on joue un nouvel opéra, demain on jouera une nouvelle comédie. Cette année-ci il y a eu – ce qui ne s’est encore jamais présenté – six nouvelles comédies et trois nouveaux opéras. Je crois que le diable le fait exprès pour me donner de l’impatience dans ma solitude. » (8 décembre 1701)  

   * La cour devient austère : « Le malheur pour les pauvres comédiens, c’est que le roi ne veut plus voir de comédies. Tant qu’il y allait ce n’était pas un péché ; c’en était un si peu que tous les évêques y allaient journellement ; ils y avaient une banquette pour eux et elle était toujours bien garnie. M. de Meaux y était toujours. Depuis que le roi n’y va plus c’est devenu un péché. Il y a quelques années il y avait un nonce ici qui allait tous les jours à l’opéra et à la comédie. On lui dit que ce n’était plus l’usage que les prêtres aillent au spectacle. « Je n’ai nulle prétention, répondit-il, de devenir cardinal par la nomination de France, j’ai coutume d’aller au spectacle : on y va à Rome ; j’irai ici. » (2 novembre 1702) 

   * Quelques jugements de la Palatine :

-  « Ce qu’il y a de plus beau selon moi dans Polyeucte ce ne sont pas les sermons de Polyeucte et de Néarque, mais bien les scènes entre Pauline et Sévère. L’Esprit de contradiction [3] est une mauvaise pièce, je l’enverrai à Votre Dilection [4] d’ici à dimanche. » (30 octobre 1704)

- « Molière a fait de jolies comédies, mais je crois, comme vous [la duchesse de Hanovre] que le Tartuffe est la meilleure. Le Misanthrope est bon aussi, ainsi que Les Femmes savantes. Pour prendre plaisir à Pourceaugnac et à Monsieur Jourdain [5], il faut mieux connaître ce pays-ci, et Paris en particulier, que vous ne le connaissez. » (5 novembre 1705)

- « La Mort de Pompée [6] est une belle pièce et Le Baron de la Crasse [7] est fort amusant. Le lever du roi y est dépeint d’après nature […]. Si l’on gouvernait les passions comme dans les comédies sérieuses de Corneille, elles seraient plutôt louables que damnables. A l’église, on vous enseigne d’une façon désagréable comment la vertu est récompensée et le vice puni, mais, dans les comédies, on vous le montre d’une manière divertissante. Entendre une heure durant un gaillard, qu’il n’est pas permis de contredire, crier dans sa chaire, cela est peut- être utile, mais cela manque d’agrément. » (9 décembre 1705)

- « Bérénice est l’une des comédies de Racine qui me plaisent le moins car je ne peux souffrit que la reine aime encore Titus quand elle voit qu’il est las d’elle et qu’il la renvoie avec son rival. Toutes ces pleurnicheries à ce propos m’impatientent. Elle aurait dû bonnement épouser le roi de Comagène et dédaigner Titus. J’ai souvent vu cette comédie, mais je ne savais pas que le roi et Mme Colona [8] en eussent fourni le sujet, car elle n’a été faite que longtemps après. » (25 octobre 1709)

Les Femmes savantes (gravure de Moreau le jeune)   - « Je sais Les Femmes savantes presque par cœur ; j’ai vu la pièce plus de cent fois, malgré cela elle me fait rire chaque fois que je la revois. Cela me rappelle Baron [Baron (1653-1729), élève et ami de Molière, est l'un des meilleurs comédiens de son temps. Il écrit des comédies, comme Le Jaloux]  : quand Mme du Maine a voulu jouer cette pièce, il fut chargé d’apprendre à M. de Gondrin, fils de M. d’Antin, le rôle de Trissotin. Il lui dit : « Monsieur, pour bien jouer le rôle de Trissotin, il faut vous mettre dans la tête que vous êtes le plus grand fat du monde. » (20 octobre 1709). Encore une égratignure sur la manière de vivre de la duchesse du Maine ! Cette dernière ouvre véritablement une cour à Sceaux, tient salon et reçoit les beaux-esprits du temps, notamment le jeune Voltaire. Elle charge sa dame de compagnie, Mme de Staal-Delaunay, qui écrira plus tard des Mémoires, de mettre en scène et même de créer des fantaisies théâtrales. La Palatine déteste les Maine.

   Notons ici que Molière, en 1709, continue à faire partie de l'ordinaire des divertissements royaux : la pièce des Femmes savantes fut créée en 1672. C'est donc un must du temps. La préciosité a encore de beaux jours devant elle !       

- « Dans une demi-heure nous allons à la Comédie. On joue Le Malade imaginaire : de toutes les pièces que Molière a faites, c’est celle que j’aime le moins ; mais il faut bien se montrer quelquefois aussi aux endroits où vient toute la cour. » (15 février 1714)

- « Le départ de mon fils [9] est retardé de huit jours ; aussi vais-je, au lieu de pleurer, aller bonnement à une nouvelle comédie, Atrée [10] Avant-hier nous avons eu deux nouvelles pièces comiques : César des Ursins et Crispin, rival de son maître [11]. La première, qui est traduite de l’espagnol, a mieux réussi à la cour, l’autre à Paris. À dire vrai les deux ne valent pas grand-chose. » (24 mars 1707)

    * Il y a de la vertu dans le théâtre : « Vous êtes bien dévote de ne pas sortir le dimanche ; mais moi, je tiens les visites pour plus dangereuses que la comédie, car, quand on se visite, il est difficile de ne pas parler du prochain, ce qui est un plus gros péché que d’assister à la comédie. Je n’approuverais pas qu’on allât au spectacle au lieu d’aller à l’église, mais une fois qu’on s’estime en règle avec le bon Dieu, je trouve le spectacle moins dangereux pour la conscience que la conversation. » (24 mars 1707) 

   * Comme une bonne grand-mère, elle emmène ses petits-enfants au théâtre : « Vendredi à neuf heures du matin, j’irai au Palais-Royal [12] pour dîner avec mes petits-enfants, le duc de Chartres et Mlle de Valois [13]. Après le dîner, je les conduirai tous deux au collège des jésuites pour voir une comédie jouée par les élèves [14] qui sont presque tous des enfants de condition. Mon fils y a entre autres un enfant qu’il a de la Séry, mon ancienne fille d’honneur. On l’appelle le chevalier d’Orléans. Le gamin est fort intelligent, mais il n’est pas joli et il est petit pour son âge. Mon petit-fils, son frère, l’aime fort et se réjouit beaucoup en vue de ce jour-là. » (18 juin 1715) 

   * On apprend que « chez les jésuites d’ici on ne joue pas de pièces religieuses, les deux au moins que j’ai vues n’en étaient pas. L’une avait pour sujet un duc de Bourgogne, et l’autre était Ésope au collège […]. À Saint-Cyr, Mme de Maintenon a fait faire quelques pièces religieuses, par M. Racine, comme Esther et Athalie. Elles sont extraordinairement belles et il ne s’y trouve pas de sots bavardages. » (12 juillet 1715) 

   * Le théâtre restera toujours son plus grand délassement : « Je n’ai ici qu’ennui et tourments ; jamais rien d’agréable ; jusqu’à la comédie, qui est le seul délassement qui me soit resté dans ma vieillesse, on me la gâte et je ne peux m’y plaire ; les gens sont si sots ici qu’ils se mettent ou s’asseyent par bandes entières sur la scène, si bien qu’il ne reste plus de place aux comédiens pour jouer. » (4 janvier 1720)

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Notes 

[1] Judith, de l’abbé Boyer.

[2] De Corneille.

[3] Pièce en un acte de Dufresny, représentée pour la première fois le 27 août 1700.

[4] Sa tante, la duchesse Sophie de Hanovre.

[5] Elle veut dire Le Bourgeois gentilhomme.

[6] Corneille.

[7] Comédie composée par Poisson.

[8] Marie Mancini, premier amour de Louis XIV.

[9] Il mène la guerre de Succession d’Espagne.

[10] Atrée et Thieste, tragédie de Crébillon, représentée pour la première fois le 14 mars 1707.

[11] Comédies en prose de Lesage.

[12] Elle écrit de Marly.

[13] Mlle d’Orléans : Charlotte-Aglaé, future duchesse de Modène, née en 1700.

[14] Spécialité des collèges jésuites ; Saint-Cyr fut une exception remarquable.

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Date de dernière mise à jour : 09/01/2020